Interview intégrale de l’ancien ministre béninois des Affaires étrangères avec Christophe Boisbouvier sur RFI ce jeudi 09 mai 2024.
Christophe Boisbouvier : Aurélien Agbénonci, bonjour !
Aurélien Agbénonci : Bonjour !
Suite au refus du Niger de rouvrir sa frontière avec le Bénin, celui-ci décide de bloquer l’évacuation du pétrole nigérien. Quelle est votre réaction ?
J’étais un peu surpris d’apprendre que le gouvernement du Bénin avait adopté une telle mesure. Je pensais qu’on était dans une démarche d’apaisement et de retour à la sérénité, donc j’ai été très surpris.
À l’origine de cette crise entre les deux pays, il y a eu le putsch au Niger le 26 juillet dernier et la décision du Bénin de s’associer aux autres pays de la CEDEAO qui ont alors sanctionné les putschistes de Niamey. Est-ce que c’était, d’après vous, la bonne décision ?
Je m’étais abstenu pendant un an de m’exprimer sur ces questions-là pour un silence que je me suis imposé volontairement. Je me suis dit qu’après un an, peut-être qu’il était temps que je me fasse entendre pour contribuer à la recherche de solutions. Je pense que ce n’était pas la bonne décision, car la CEDEAO qui a recommandé ces sanctions, qui sont plutôt radicales, est elle-même dans une crise identitaire. On parle d’une Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, mais nous sommes dans une situation où la communauté économique est partie directement sur un terrain politique. Lorsque vous imposez des sanctions politiques alors que votre rôle est de rester d’abord dans la recherche de convergence économique pour pouvoir pousser la croissance et favoriser le développement dans cet espace communautaire, forcément, on arrive à une situation difficile comme celle-là. Et donc la décision était dure et conforme à un protocole qui existe, un protocole sur la gouvernance de la CEDEAO. Et je pense que très sérieusement, on aurait dû trouver une manière un peu plus simple de régler le problème, à savoir : forcer le dialogue, trouver des compromis, établir des échéances de retrait des forces qui étaient responsables de ces changements, de ces ruptures dans l’ordre constitutionnel. Ce sont des choses qui ont déjà fonctionné par le passé, mais je crois qu’on est allé trop fort et parfois, ça ne marche pas.
À la fin de l’année dernière, le Bénin a assoupli sa position à l’égard du Niger, le président Talon a annoncé sa volonté de normaliser les relations et de rouvrir la frontière Bénin-Niger, mais le Niger a refusé la main tendue. Qu’en pensez-vous ?
En fait, ce qui s’est passé, c’est que le dialogue a été vicieux. Il y a eu des suspicions de part et d’autre, des accusations qui ont fait disparaître la confiance entre les parties. Et je pense que s’il n’y avait pas eu d’interférences supposées ou réelles d’autres centres de pouvoir dans le dialogue entre ces deux pays, on ne serait pas arrivé à cette situation. Ensuite, je crois que le Bénin a peut-être sous-estimé l’importance du Niger dans son économie et on a vu les résultats plus tard, la situation du port, le port de Cotonou en a souffert, et du coup, le Togo en a profité. J’ai écouté les autorités des deux pays et j’ai compris qu’en fait, le Togo n’avait pas préparé spécialement une manœuvre contre le Bénin, le Bénin non plus n’avait pas prévu que les choses prendraient une telle proportion. Et je pense qu’une saine appréciation de la réalité et du rôle de chacun aurait pu amener à éviter cette situation.
Pour justifier son refus de la normalisation, la junte au pouvoir au Niger a accusé le Bénin d’abriter secrètement une base militaire française dans le nord de votre territoire. Est-ce crédible ?
Il ne m’appartient pas de répondre à cela puisque je ne suis plus aux affaires depuis maintenant douze mois, mais je ne pense pas que cette lecture soit exacte. Mais c’est aussi vrai, la suspicion. Il y a beaucoup plus de suspicion dans ce genre de démarche et je crois que le dialogue direct sans interférence aurait pu vraiment aider à trouver des solutions concrètes.
Donc, à votre connaissance, il n’y a pas de base militaire française au nord du Bénin.
Je n’en ai aucune preuve.
Et c’est en effet catégoriquement démenti par les autorités béninoises.
Je n’ai pas de raison de ne pas y croire.
Ces derniers jours, le ton est monté entre Niamey et Cotonou, c’était à l’occasion de la future inauguration de la plateforme pétrolière sur la côte béninoise, le Niger a alors décidé d’envoyer une délégation au Bénin sans prévenir les autorités béninoises en demandant simplement aux Chinois de la compagnie pétrolière (CNPC) de faire passer le message au Bénin. C’est un peu vexant non ?
Je n’ai pas les détails de ce qui s’est passé. Ce que je sais, c’est qu’il faut trouver des mesures d’apaisement. Je crois que le projet du pipeline est un projet utile pour les deux pays. C’est un projet important, c’est un bon projet. Je me souviens moi-même avoir visité les installations avec l’ancien président Bazoum lorsqu’il visitait le Bénin. Disons que le projet de pipeline aurait été mieux que ce qui se passe.
Alors, pour le pouvoir militaire nigérien, cette manne pétrolière est très attendue, elle est même vitale. Si votre pays, le Bénin, bloque l’exportation de ce pétrole, est-ce que le régime militaire de Niamey va pouvoir tenir longtemps financièrement ?
Mais écoutez, moi je n’ai pas la qualité pour parler au nom du gouvernement du Bénin, mais je sais que c’est un projet qui est vital et il y a d’autres questions qui sont importantes dans cette escalade qu’il y a entre le Bénin et le Niger. Vous savez par exemple que le secteur privé a beaucoup souffert à cause de la fermeture. Personne ne parle par exemple d’un fond de compensation pour aider les acteurs du secteur privé qui ont laissé des plumes dans cette crise. Personne ne parle de solutions d’accompagnement pour les civils qui ont eu diverses difficultés et donc la priorité, je crois, il faut remettre les intérêts supérieurs des deux pays au centre du jeu. Mon message, mon appel, je ne suis pas un donneur de leçons, c’est d’amener ceux qui sont en charge de la gestion publique dans ces deux pays à trouver le ton de la concertation. Vous savez, on dit souvent que toutes les guerres, toutes les batailles se terminent autour d’une table et le plus tôt, que l’on s’asseye autour d’une table, le mieux c’est pour les populations.
La compagnie pétrolière chinoise CNPC a avancé le 12 avril dernier quelques 400 millions de dollars au pouvoir militaire nigérien mais cette avance va être très vite consommée par le Niger et puis après si le pétrole ne coule pas, eh bien, il n’y aura plus d’argent pour le Niger. Est-ce qu’un jour ou l’autre, les deux parties ne vont pas devoir revenir à la table peut-être sous médiation chinoise ?
Je ne sais pas quelle sera la médiation mais je crois qu’il faut désigner tout de suite les intermédiaires pour leur permettre de se parler et le plus important pour moi, c’est que cette escalade s’arrête et qu’une solution soit trouvée assez rapidement.
Malgré la fermeture de la frontière, il y a toujours des céréales et du maïs qui viennent du Bénin et qui rentrent au Niger. Mais cette fois-ci, le président Talon a décidé de bloquer ce secteur informel qui continue de faire passer les céréales parce qu’il veut faire savoir au Niger qu’il n’est pas content. Est-ce que de fait, ça ne risque pas de compliquer encore plus la relation entre les deux pays ?
C’est ce qu’on dit. Je n’ai pas eu connaissance de cette décision qui aurait été prise par le gouvernement du Bénin. Mais je pense que le message le plus important aujourd’hui, c’est de mettre la balle à terre et de mettre les intérêts bien compris des deux pays et surtout des populations au centre du jeu.
Ce qu’a dit Patrice Talon ce mercredi devant la presse, c’est : “Je regrette ces relations difficiles avec le Niger, mais j’espère qu’elles vont s’améliorer”.
Il faut qu’elles s’améliorent dans l’intérêt des deux pays. Personne ne sera gagnant dans cette guerre, personne.
Aurélien Agbénonci, vous avez été pendant 7 ans le ministre des Affaires étrangères du président Talon et puis tout à coup l’année dernière, en dehors de tout remaniement gouvernemental, on a appris votre départ par un simple communiqué. Qu’est-ce qui s’est passé ?
J’ai servi le gouvernement de la République. Le moment était venu peut-être de passer à autre chose. Je suis passé à autre chose.
Vous avez démissionné ou le président vous a demandé de partir ?
Je suis passé à autre chose (sourire)
Et derrière ce rire, il y a que vous auriez bien aimé rester à votre poste.
Je suis passé à autre chose. Il faut avoir le sens des pages qui se tournent. Et les pages ont été tournées. Voilà.
Et le différend puisque évidemment, si vous êtes parti, c’est qu’il y avait un différend entre le président et vous. Ce différend, il était sur la politique intérieure ou extérieure du Bénin ?
Je crois qu’il faut tourner les pages, les pages sont tournées et moi je suis passé à autre chose.
Est-ce que vous vous êtes revus depuis un an ?
Ce n’est pas un sujet.
Et aujourd’hui ?
Ce n’est pas non plus un sujet.
Aujourd’hui, vous êtes passé à autre chose.
Je suis passé à autre chose. Je travaille dans le conseil géostratégique auprès de certains gouvernements, j’interviens dans des centres de formation et je travaille au sein du Forum de Crans et Montana dont je suis Conseiller Afrique.
C’est ça. Alors, il faut nous dire en deux mots de quoi il s’agit ?
Alors, le Forum de Crans et Montana, c’est une société savante qui abrite une académie diplomatique mondiale et qui fait du travail de conseiller auprès de gouvernements, auprès de divers acteurs étatiques et non étatiques et puis je m’occupe des questions qui concernent l’Afrique dans ce dialogue-là.
Donc c’est à ce titre-là que vous souhaitez demain une réforme peut-être de la CEDEAO ?
Je crois. C’est important. Il y a une crise identitaire, il faut la réformer (…)
En gardant au sein de cette organisation les trois pays qui veulent partir ?
Ce serait souhaitable et je crois que les pays qui ont créé l’AES ont dit leur regret de partir et donc, je crois qu’il faut à un moment donné, dans une famille, trouver les moyens de se remettre ensemble pour avancer.
Aurélien Agbénonci, merci.
C’est moi qui vous remercie.