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Mots et choses en l’an 62 [Chronique Roger Gbégnonvi]

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Lorsque, en l’an 55 (de notre indépendance, bien sûr), il nous a dit « rupture », « Bénin révélé », patati et patata, nous avons ricané. Nous venions de loin, vaincus par mille échecs, et savions la grisaille notre lot pour toujours. Et nous traînions, tête baissée, les yeux rivés sur les crevasses et les aspérités du sol, parce que les luminaires au firmament nous regardaient de travers. Désabusés nous étions. Et l’on ne pouvait plus nous prendre au piège des mots qui, depuis plus d’un demi-siècle, ne conduisaient point aux choses dites. Rompus au pessimisme nous étions. Et un opérateur économique, « roi du coton », ne pouvait que nous y enfoncer, incapable de par sa profession – c’était notre conviction – de nous montrer les rivages d’un quelconque optimisme collectif, national. Non, il ne le pouvait pas. Et basta !
Nous en étions là, « au plus bas de la fosse », pris au lasso d’un quotidien morne et vide d’avenir, nous en étions à cette résignation stoïque, à ce spleen caractéristique des poètes maudits, lorsque…quoi donc ? Des craquements ! Toute rupture fait des gravats et des blessés. Il transforme en choses les mots qu’il a dits ? Il va nous tirer de là, nous faire déchanter en nous enseignant un chant nouveau, un chant pour se redresser et marcher ? De fait, séisme au sein du système des choses, dont certains ténors prennent la fuite. Enrichis illicitement sur notre dos, ils partent avec notre argent pour s’offrir la vie belle sur les bords de la Seine et du Mississipi « En attendant Godot ». Or Godot – Dieu pour Samuel Beckett – ne viendra pas. C’est en vain, pense le dramaturge, que l’homme espère en lui.
Au pays en revanche, pas de débandade mais le branlebas. Il trace. Il reconstruit. Il rénove. Il innove. Il renouvelle. Il décore. Car le beau tient également à cœur à notre homme. Ce n’est pas un plombier sans imagination se contentant de bidouiller la tuyauterie de la maison en ruine, c’est un bâtisseur pressé et acharné, conscient qu’il n’a qu’une décennie pour remettre son peuple dans « le temps de l’espérance », lui montrer les rivages de l’optimisme en améliorant son existence. L’on doit à Albert Camus de savoir que « Mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde ». Notre homme a bien dit les mots « rupture » et « Bénin révélé ». Mais à quel Béninois aurait-on pu faire croire en l’an 55 qu’il ferait les choses difficiles des mots qu’il a dits ? Sortir le Bénin de la grisaille ? Qui l’eût cru ?
Et voici que l’an 62 contemple la belle aurore qui précède l’aube nouvelle. Les fuyards et les détenus pour coups et blessures à la patrie ? « Je n’en rougis pas du tout… Je suis droit dans mes bottes ! » Serment de nos soldats à la devise : « Que je meure si ça casse ». Mais ni casse ni mort. Avec lui à la tâche, nous voici ! Pour guérir du mal de la pagaille engluée dans la fraude et la corruption endémiques, le Bénin démocratique, sans mollesse, laisse force à la loi. Et avec l’ancien maître, il est à présent dans une « relation décomplexée ». Il était temps.
Aux environs de l’an 05, Paulin Hountondji écrivait : « C’est une absurdité, par principe, tout effort d’un Noir visant à obtenir du Blanc qu’il lui décerne un brevet d’humanité… Le respect ne se mendie pas, pas plus que ne s’octroie la dignité, mais l’un et l’autre se conquièrent par la lutte… » Ignominieuse absurdité donc que de « célébrer une fois l’an nos bourreaux ». C’en est fini à présent de cette version hideuse du syndrome de Stockholm. Respect et dignité reconquis, nous honorons à partir de l’an 62 la « mémoire des enfants du Bénin dévoués à la patrie ». Plus besoin d’exploit guerrier et sanglant pour mériter l’hommage du Bénin, il suffit de l’avoir servi en dignité, honneur et honnêteté, à la place et dans la fonction qui sont les vôtres. Et voici, en l’an 62, le Bénin sur orbite d’unité et de grandeur, de l’Atlantique à l’Atakora, entre Amazone et Bio Guera. Il était temps.
Car, dit Aimé Césaire, voici venu maintenant « le temps de nous-mêmes ».

Roger GBÉGNONVI

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