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Coton : bonheur et malheurs, la part des cotoncultrices de Banikoara dans le succès béninois

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Avec 678 000 tonnes en 2019; 714 714 tonnes en 2020 et 728 000 tonnes en 2021, le Bénin a été, sur les trois dernières campagnes, 1er producteur de coton en Afrique. A Banikoara, bassin cotonnier situé dans le nord du pays, dans le département de l’Alibori, à environ 700 km de Cotonou, elles sont plus de 500 femmes, officiellement recensées, qui contribuent à la production nationale. Dans l’ombre des hommes, ces productrices, dont on parle très peu, cultivent, s’autonomisent et se réalisent. Les obstacles ne manquent pourtant pas.

« Vous les hommes, vous avez dit que si vous payez la facture d’électricité, nous femmes, devront prendre en charge celle de l’eau, n’est-ce pas ? Ici, dans les villages de Banikoara, des hommes ont 3, 5 voire 8 femmes avec plusieurs enfants et ne peuvent pas s’occuper d’eux. Nous avons alors investi dans la production de coton pour notre autonomisation », raconte Salima Ibrahim, la trentaine d’âge et mère de 4 enfants, dans un foyer polygame de trois femmes. C’est un petit chemin qui mène à l’un de ses champs de coton. Sous un soleil clément ce mercredi 22 septembre 2021 dans le bassin cotonnier de Banikoara, Salima traverse les allés des plantes de coton pleines de cabosses. « Les formes de ces cabosses sont le signe d’une récolte prometteuse », confie la brave dame, la taille à peine visible au milieu d’un espace cotonnier à perte de vue. En tâtant les fleurs des tiges à la forme des sapins de Noël aux multiples couleurs, elle lance: « J’adore! » « Depuis trois ans, je cultive des hectares de coton, au même titre que les hommes », s’enorgueillit-elle. En 2019, Salima a emblavé cinq hectares de terres reparties sur trois sites. Son engagement pour la production du coton n’est pas un cas isolé dans la commune de Banikoara. Selon les chiffres de la section communale de l’Association interprofessionnelle du coton (AIC), au cours de la campagne cotonnière 2019 – 2020, 569 femmes de la commune ont produit du coton sur une superficie de 1295 hectares. Il y a trois ans, invité du club de presse Café Médias Plus, Jocelyn Nénéhidini, ancien directeur des opérations Afrique de l’ouest chez Suvet Commodities, soulignait que sur les 214 mille producteurs de coton enregistrés au cours de la campagne de 2019, on dénombre 23 mille femmes sur le plan national.
A Banikoara, des femmes, à elles seules, possèdent jusqu’à 8 hectares de champs pour plusieurs tonnes de coton vendues en fin de saison. Le revenu de la production cotonnière leur permet de s’affirmer, parfois à travers des réalisations immobilières. Assise au portail de sa maison, bâtie en matériaux définitifs sur une superficie d’environ 1000 m², grâce à « l’argent du coton », Alice est l’une des quatre épouses d’un cotonculteur. Elle est connue pour être l’une des femmes cotoncultrices qui défient d’autres hommes en matière de production cotonnière. « La culture du coton n’est pas un secret pour moi. Ma feue mère a été plusieurs fois décorée dans la commune. Elle en produisait plus de 20 tonnes par saison. J’ai tout appris d’elle. Aujourd’hui, je nourris mes 5 enfants et je paie leur scolarité sans rien attendre de mon mari. D’ailleurs, il n’a pas mon temps », confie la dame d’environ 35 ans d’âge, sourire aux lèvres.

Une productrice dans l’un de ses champs de coton

De l’argent cash pour des « réalisations palpables »

« Ici, si tu ne sais pas labourer la terre, on ne fait pas de toi une épouse », souffle un homme, voisin du quartier, lui aussi cotonculteur qui témoigne que toutes ses trois femmes cultivent le coton. Si par le passé, les femmes s’adonnaient principalement à la production des céréales comme l’arachide et le maïs, aujourd’hui la tendance semble être à la culture du coton « parce qu’elle est la seule production où l’on vend sa production en bloc et on reçoit l’argent en cash pour faire des réalisations palpables », selon Tori Sanni Guerra, présidente de l’Union communale des coopératives des femmes (UCCF). Les réalisations de certaines femmes cotoncultrices sont visibles à perte de vue dans Calavi, un quartier périphérique de Banikoara. Pour l’anecdote, le nom Calavi a été donné au quartier par un ancien étudiant de l’Université d’Abomey-Calavi, ressortissant de Banikoara. Dans ce nouveau quartier ne disposant encore d’aucune infrastructure socio-communautaire, des cotoncultrices ont déjà acheté des parcelles et construit des habitats décents. Des panneaux solaires, installés sur les toits des maisons en tôle ou en tuiles, dont certains à étages, alimentent les demeures. Les femmes s’adonnent à une sorte de concurrence pour exposer le fruit de leur labeur dans les champs de coton.

Un portail qui s’ouvre sur la réalisation d’une femme grâce à l’argent du coton

En dehors des biens matériels que procurent les revenus issus de la production du coton, il y aussi les nombreux enfants scolarisés. « J’ai quatre enfants, tous à l’école. L’aînée est en médecine à l’Université de Parakou. Le deuxième vient d’avoir le baccalauréat. J’attends qu’il me dise ce qu’il veut faire. Pensez-vous que mon mari seul peut s’occuper de tous ceux-ci alors que je ne suis pas sa seule épouse ? Non non non. C’est grâce au coton que je fais ça », se félicite Aminatou, une productrice, spécialisée de la culture du coton biologique, le regard visiblement plein d’espoir pour l’avenir de ses enfants.

Bienvenue à Calavi, nous sommes à Banikoara

Difficultés d’accès à la terre et aux intrants

Dans le bassin cotonnier du nord du Bénin, des femmes ont certes fait une irruption spectaculaire dans la production du coton, essentiellement dominée par les hommes, mais cette situation ne doit pas masquer les obstacles rencontrés : difficultés à avoir accès à la terre fertile arable, aux intrants agricoles et la mauvaise foi de certains hommes.
A Banikoara, majoritairement Baatɔnum (Bariba), comme dans bien d’autres communautés ailleurs au Bénin, il est rare de voir des femmes hériter des terres en dépit du code foncier et domanial qui donne plein droit à la terre à la femme au même titre qu’à l’homme. Les terres sont des propriétés exclusives des hommes. Dans un tel contexte, les femmes qui veulent faire des champs personnels, font face à d’énormes difficultés.
« Chez nous à Banikoara ici, les femmes n’ont pas de terres en héritage. Soit elles achètent ou elles louent chez des propriétaires terriens pour cultiver », fait savoir la présidente de l’UCCF. La majorité des femmes rencontrées ont loué des terres à “prix d’or” avec beaucoup de risques. « La plupart du temps, les propriétaires terriens nous louent leurs terres déjà appauvries pour un ou deux ans, l’hectare étant à 20 000 FCFA par an. Et si vous n’avez pas la chance, vous allez vous retrouver à deux ou à trois sur la même parcelle à cause de la cupidité et la malhonnêteté de certains propriétaires », témoigne une cotoncultrice. « Si tu te plains, on te remet certes ton argent, mais la période des semences étant déjà passée, tu es coincée car tu ne peux plus faire ton champ cette année-là », poursuit-elle. « Parfois, lorsqu’on enrichit à l’engrais chimique la parcelle louée pour cultiver, l’année suivante, le propriétaire terrien reprend sa parcelle ou décide d’augmenter le prix. Voilà ce que nous vivons ! Et ne comptez pas sur nos époux pour nous défendre car eux même ne nous donnent que des terres appauvries s’ils veulent être généreux », se plaint une autre dame, visiblement très remontée contre son mari, avant de changer de sujet de conversation dès qu’elle a senti sa présence dans les environs. L’accès difficile aux terres oblige des femmes à avoir des champs de façon éparpillé : un hectare par-ci, deux hectares par-là, à des kilomètres. « Ce n’est pas une affaire de femme quand on veut parler d’indisponibilité de terre fertile pour la culture du coton. Certains hommes n’ont plus de terres arables », nuance un important acteur de la filière. Il reconnait, toutefois, que des propriétaires terriens font « un double jeu » avec certains bailleurs, notamment les femmes. Pour cet ancien président d’une des Coopératives villageoises de producteurs de coton (CVPC), le travail de la terre, c’est d’abord réservé aux hommes. « Comment vous-voulez que nous nous privons des terres pour les confier aux femmes même si nous aimons les voir labourer la terre? », interroge-t-il. Et pourtant, sur le terrain, les femmes ont plus de difficulté que les hommes. Mouyidini Radji, ingénieur agronome et chef cellule communale de Banikoara de l’Agence territoriale de développement agricole 2 (ATDA 2), confirme qu’en matière d’accès à la terre, les femmes rencontrent plus de difficultés que les hommes. « Les terres les plus pauvres sont souvent laissées aux femmes. Et les producteurs emblavent de grandes superficies et la terre n’étant pas extensible, le problème d’accès à la terre se remarque d’avantage au niveau de la femme. Il faut cependant noter une particularité à Banikoara, certaines femmes ont atteint une autonomie financière et louent les terres pour la production du coton. » C’est d’ailleurs la difficulté à avoir accès à la terre qui amené l’ATDA 2 à aménager des terres cultivables en exigeant qu’au moins 50% de ces parcelles reviennent aux femmes pour la production des produits maraîchers.
Même si les époux n’accompagnent pas leurs femmes dans la recherche de terres sécurisées et fertiles, ils sont tout de même présents à d’autres niveaux des projets cotonniers de leurs épouses. Pour être approvisionné en intrants et autres produits chimiques pour le traitement du coton par l’AIC, il faut être membre d’une Coopérative villageoise de producteurs de coton (CVPC). Le droit d’adhésion s’élève à 25 000 FCFA. A cela s’ajoute une part sociale de 45 000 FCFA que paie chaque producteur. Très peu de femmes étant membres de ces coopératives, pour bénéficier des semences, des engrais et autres pesticides, elles passent par le couvert de leur mari. Des femmes accusent leur conjoint d’en profiter pour prendre plus d’intrants qu’il en faut et d’en faire un commerce sans leur accord préalable. Ce qui endetterait des cotoncultrices, car à la fin de la saison, après la vente, les coûts des intrants sont déduits des recettes. Pour éviter ce contre-coût, certaines femmes préfèrent s’abonner au marché noir. Mais là encore, témoignent plusieurs, il faut avoir les moyens financiers évidents. « Il m’arrive de vendre quelques boites des herbicides de mes femmes pour payer les ordonnances des enfants lorsqu’ils sont malades », reconnait un homme, époux de deux cotoncultrices. « C’est après avoir épuisé mes propres stocks de produits. Mais parce que cela est arrivé une fois en passant, nos femmes vont nous accuser éternellement d’avoir vendu leurs intrants », clarifie-t-il.

Vue partielle d’un Champ de coton conventionnel d’une productrice

Maternité, duperie, vol

L’état de nourrice de certaines femmes n’est pas compatible avec certaines tâches dans les champs de coton. Par exemple, l’usage des pesticides pour lutter contre les parasites. Les productrices de coton nourrices paient alors des hommes pour effectuer ces tâches. Elles disent être parfois dupées.
Veuve depuis 4 ans, Miriam produit du coton à Founougo, l’un des arrondissements de Banikoara. Celle qui a dû abandonner cette culture à cause des difficultés se rappelle sa mésaventure. « Alors que je l’ai régulièrement payé pour qu’il arrose mon champ avec les pesticides que je lui ai remis, il a plutôt fait le travail avec de l’eau sans respecter les indications. Et il est allé vendre mes produits à 2000 FCFA dans le marché noir alors que je les ai acquis à plus de 5000 FCFA auprès des CVPC. Cela a agi négativement sur le rendement de mon champ. », raconte-t-elle. « Être une femme n’est certes pas une contrainte mais il faut un leadership affirmé pour contourner la mauvaise foi de certains hommes», déduit-elle de ses expériences.
Certaines productrices, dont le champ de coton est éloigné des habitations, sont victimes de vol de récolte. « L’an dernier, j’ai payé 48 000 FCFA pour qu’on assure la récolte d’un des hectares de coton que j’ai qui se trouve à 25 kilomètres de ma maison. Malheureusement, nuitamment des gens sont allés voler une bonne partie du coton. Et je ne suis pas la seule victime. Nous ne cessons de nous plaindre à chaque saison », se désole Alassane, une productrice.

Des bascules prêtes à recevoir les balles de coton dès les récoltes dans la cours de l’Union communale des coopératives villageoises de coton de Banikoara

Retour vers la culture biologique, une solution ?

Dans un futur proche, les femmes pourront-elles continuer à apporter leur contribution à la production nationale sans difficulté ? Personne n’a la réponse. En attendant, des actions sont menées pour réduire les obstacles.
Promotrice de l’agriculture biologique, l’Association des femmes vaillantes et actives (AFVA) considère que l’épanouissement total des femmes dans la filière coton passe la culture du coton biologique. Elle trouve le coton conventionnel trop contraignant. Depuis 2008, Antoinette Baké Garadima, superviseur dans le département de l’Alibori de l’ONG, sensibilise les femmes sur les avantages du coton biologique, cultivé sans intrants chimiques. Dans la production du coton conventionnel, soutient-elle, « sur tous les plans, la femme est sous le couvert des hommes parce que très peu de femmes sont dans les CVPC pour bénéficier directement des intrants et des crédits agricoles ». « C’est quand le mari va chercher son intrant et qu’il finit de satisfaire ses besoins qu’il pense à sa femme. Et ces intrants qu’il donne à sa femme vont être appliqués sur quel genre de sol? Si ce n’est un sol fatigué. Va-t-elle s’en sortir avec les coûts des intrants? Non ! », argumente-t-elle. Elle informe que son ONG a signé des contrats avec certains propriétaires terriens pour qu’ils mettent leurs terres à la disposition des femmes. Ces terres, explique-t-elle, sont soumises à un système de gestion durable qui permet de régénérer les éléments nutritifs des sols pour accroître le rendement des champs avec peu de moyens.
Cette volonté d’accompagner les femmes vers l’agriculture biologique dans la filière du coton est partagée par l’ATDA 2. D’après Mouyidini Radji, l’Agence a inscrit les femmes dans les pratiques résilientes aux changements climatiques à travers la culture du coton biologique. A ce titre, « environ 450 femmes ont bénéficié de notre accompagnement dans la commune de Banikoara », souligne-t-il. Il ajoute que l’ATDA 2 organise, de façon périodique, des émissions radios pour une prise de conscience afin que la femme puisse avoir facilement accès à la terre.

Venance TONONGBE

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