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Dossiers Ajavon et État béninois : la Cour africaine va à des dérives selon Victor Topanou

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Dans une tribune, Victor Prudent Topanou maître, maître de conférences de sciences politiques à l’Université d’Abomey-Calavi est revenu sur quelques arrêts de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) dans des dossiers qui opposent Sébastien Germain Ajavon, réfugié en France et l’État béninois. Pour l’universitaire béninois, Victor Topanou, la Cour va à des dérives qui mettent en péril sa crédibilité.
Lire ici l’intégralité de sa réflexion.

Les dérives de la CADHP

Depuis quelques temps, l’un des avocats de Monsieur Sébastien Germain Ajavon, en la personne de Me VEY fait des incursions répétées dans la vie politique de notre pays, le Bénin. Quand il n’écrit pas une lettre ouverte au Président de notre République dans laquelle il s’autorise des jugements de valeur sur l’état de notre pays et de sa démocratie avec des relents de donneur de leçons, il envahit les plateaux de télévision, France 24 notamment, pour vendre les mérites de ses propres succès devant la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples. Il ressort de sa lettre ouverte et de son interview qu’il s’est battu devant la juridiction panafricaine pour obtenir, pour le compte de son client, le droit de prendre part à l’élection présidentielle de 2021 au Bénin. Pour ce faire, il a obtenu dans un premier temps, la suspension des élections communales de 2020 et, dans un second temps, l’annulation pure et simple de la révision constitutionnelle de Novembre 2019 et de certaines autres lois. Le premier Arrêt est resté sans suite, les élections communales s’étant déroulées à bonne date et le second connaîtra à coup sûr le même sort, c’est-à-dire que le Bénin ne reviendra pas sur cette révision constitutionnelle pas plus qu’il n’annulera les autres lois querellées.

Sur le principe, nous n’avons rien contre les condamnations de l’Etat béninois, pour autant qu’elles soient justifiées. Ce qui nous préoccupe davantage, c’est la légèreté avec laquelle la Cour Africaine mène certains raisonnements juridiques et nous ne pouvons nous réjouir de la condamnation de notre pays sur des fondements autres que le Droit. Nous observons, pour le regretter, le bonheur qu’éprouvent certains de nos compatriotes, à des fins inavouées, toutes les fois que notre pays est condamné par la Cour ; il n’y a, pour cela, qu’à consulter les réseaux sociaux pour s’en rendre compte. Nous n’arrivons toujours pas à nous y résoudre.

Mais quand nous eûmes fini d’écouter Me VEY et de lire aussi bien sa lettre ouverte que les Arrêts de la Cour, deux questions nous vinrent à l’esprit : sont-ils de mauvaise foi (I) et sont-ils au moins préoccupés par la crédibilité de la Cour (II) ?

I / Une mauvaise foi évidente

Me VEY ainsi que la Cour ne sauraient ignorer un fait irréfragable qui est celui du statut de réfugié politique de leur client et surtout des conséquences attachées à ce statut. En effet, quitter son pays d’origine où l’on a construit toute sa vie (familiale, professionnelle, sociale, politique et autres) pour demander la protection d’un autre pays en y obtenant le statut de réfugié, c’est nécessairement parce que, comme le rappellent de façon constante la doctrine et l’abondante jurisprudence en la matière, l’on craint pour sa vie et que l’on y est persécuté. En effet, ni Me VEY ni la Cour africaine ne sauraient ignorer que le mot « réfugié » s’applique, « à toute personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels évènements, ne peut ou en raison de ladite crainte, ne veut y retourner » (voir article premier paragraphe A.2 de la Convention de Genève du 28 juillet relatif au statut des réfugiés et entrée en vigueur le 22 avril 1954).

Le simple bon sens voudrait alors que l’on ne puisse pas affirmer d’un côté, que l’on craint pour sa vie dans son pays, que l’on y est persécuté, qu’on le quitte pour aller chercher refuge ailleurs où l’on acquiert le statut de réfugié et, de l’autre côté, prétendre y retourner pour prendre part à une élection présidentielle ; c’est une question de bon sens avant que d’être une question de Droit. D’ailleurs, dans la mise en œuvre de ce statut de réfugié et conformément aux dispositions pertinentes des Annexes de ladite Convention, il est établi un titre de transport, un passeport qui contient la liste des pays, au premier rang desquels, le pays d’origine, dans lesquels le porteur est interdit de séjour ; et pour cause ! Et c’est pour contourner cette interdiction de bon sens que de nombreux Africains jouissant du statut de réfugié et voulant rentrer dans leur pays d’origine en violation de leurs obligations, choisissent d’atterrir, d’abord dans un pays limitrophe avant de rentrer frauduleusement sur leur territoire national, à la faveur des circuits informels et parallèles.

Victor Prudent Topanou

De même, Me VEY et les Juges de la Cour ne sauraient ignorer les dispositions de l’article 15 de la Convention de Genève du 28 juillet relatif au statut des réfugiés ci-dessus évoquée, pas plus qu’ils ne sauraient ignorer les dispositions pertinentes de l’article 3 de la Convention de l’OUA, devenue UA, régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique.

Le premier, l’article 15 de la Convention de Genève, est consacré aux droits d’association des réfugiés. Il prescrit aux Etats contractants d’accorder « aux réfugiés qui résident régulièrement sur leur territoire, en ce qui concerne les associations à but non politique et non lucratif et les syndicats professionnels, le traitement le plus favorable accordé aux ressortissants d’un pays étranger, dans les mêmes circonstances ». En prenant soin de parler avec précision « d’associations à but non politique », ce n’est que pour mieux exclure de ses droits, les associations à but politique. Or dans le cas d’espèce, Mr Sébastien Germain Ajavon est toujours au Bénin, malgré son statut de réfugié, un Président de parti, l’Union Sociale Libérale (USL).

Le second, l’article 3 de la Convention de l’UA, est relatif à l’interdiction de toute activité subversive. Il prescrit, d’une part, à tout réfugié de « s’abstenir de tous agissements subversifs dirigés contre un Etat membre de l’UA et, d’autre part, à tous les Etats signataires de s’engager à « interdire aux réfugiés établis sur leur territoire respectif d’attaquer un quelconque Etat membre de l’Union Africaine par toute activité qui soient de nature à faire naître une tension entre les Etats membres et notamment par les armes, la voie de la presse écrite et radiodiffusée ». Les procès multiples intentés à Arusha contre le Bénin et dont les Arrêts sont aussi abondamment divulgués par la presse écrite et diffusée puis relayés par les réseaux sociaux peuvent être considérés, à juste titre, comme des « agissements subversifs » de « nature à faire naître une tension » au Bénin.

Si le Gouvernement béninois le désirait, il pourrait élever une protestation auprès de la France par le canal diplomatique, comme il est de coutume, contre une « action subversive menée sur son sol par un réfugié politique d’origine béninoise ».

Et c’est bien là le piège à cons dans lequel l’Avocat de Mr Sébastien Germain Ajavon et la Cour l’ont conduit ; le premier en lui recommandant le statut de réfugié pour lui éviter un séjour irrégulier en France et la seconde, ensemble avec l’Avocat, en lui donnant l’illusion qu’ils pouvaient l’installer, à coût d’Arrêts, à la Marina, la Présidence de la République Béninoise. Or, même si toutes les demandes de la Cour étaient appliquées par l’Etat du Bénin, Mr Sébastien Germain Ajavon ne pourra jamais aller à l’élection présidentielle de 2021 à cause de son statut de réfugié politique octroyé par la France. En revanche, la Cour a raté une occasion de faire avancer, par un bel Arrêt, la cause des réfugiés, notamment sur la question de leurs droits politiques si elle en avait profité pour ouvrir ouvertement le débat.

Et c’est parce que nous présumons que ni les Juges de la Cour ni l’Avocat de Mr Sébastien Germain Ajavon n’ignoraient le statut de réfugié politique de ce dernier ainsi que des obligations qui en découlaient que nous en concluons qu’ils sont, soit de mauvaise foi, soit de moralité douteuse. On peut juste s’étonner que les Avocats de l’Etat Béninois n’aient pas soulevé non plus ce point dans leurs plaidoiries. En tout état de cause, l’attitude des Juges de la Cour impacte négativement sur la crédibilité de la Cour.

II / De la crédibilité de la Cour

La crédibilité d’une juridiction et plus encore d’une juridiction régionale réside presqu’entièrement dans la force de l’argumentaire juridique de ses Arrêts, de sorte que même lorsqu’un camp perd un procès devant elle il puisse s’exclamer « mais l’Arrêt est très bien rédigé » !! C’est ce qui manque le plus aujourd’hui aux Arrêts de la CADHP contre le Bénin et que traduisent d’ailleurs, fort à propos, les nombreuses opinions dissidentes qui s’expriment à chaque fois. Nous nous attarderons ici et de façon non exhaustive, sur quatre exemples pour bien montrer cette légèreté qui caractérise le raisonnement juridique des Juges de la Cour.

Le premier exemple, c’est le fait de condamner le Bénin sur des fondements irréels et inexacts. En effet, le Bénin a été sommé d’abroger une loi qui interdirait le droit de grève au Bénin. Le problème avec cette décision, c’est qu’aucune loi n’interdit le droit de grève au Bénin. Nous avons beau chercher, nous ne la trouvons pas. Il y a, certes, eu une tentative d’abrogation du droit de grève mais la Cour constitutionnelle présidée par le Professeur Théodore Holo avait alors déclaré la loi inconstitutionnelle en rappelant fort opportunément au Gouvernement qu’il pouvait réorganiser comme il le voulait le droit de grève dans le cadre d’une loi mais qu’en aucun cas il ne pouvait pas le supprimer. Dès lors, une nouvelle loi sur le droit de grève en République du Bénin qui n’autorise la grève qu’à raison de deux jours par mois, a été votée. Elle constitue aujourd’hui le cadre de référence du droit de grève au Bénin et c’est dans ce cadre que les étudiants de l’Université d’Abomey-Calavi ont fait grève fin novembre et début décembre dernier.
Certes, le politique et donc l’opposition politique peut dénoncer cette loi et considérer, ainsi qu’elle le fait, que le droit de grève est réduit à sa plus simple expression au point de lui enlever toute utilité fonctionnelle, voire politique et stratégique ; elle sera dans son droit. Mais une Cour régionale ne peut dire que la loi a supprimé le droit de grève alors que ce n’est pas vrai : ce faisant, elle ne fait plus du Droit, elle fait de la politique et ça, pour un Etat membre, c’est inadmissible. Dans ces conditions, l’Etat du Bénin est fondé à dénoncer de tels comportements et si l’organisation de la Cour l’avait permis, il serait fondé à introduire un recours en réparation de préjudice moral subi du fait de la divulgation virale de fausses informations sur les réseaux sociaux suivie de commentaires tous aussi malveillants les uns que les autres qui sont de nature à salir l’image du pays.

Le deuxième exemple, c’est le fait de condamner le Bénin sur des fondements sans objet. En effet, en condamnant l’Etat du Bénin à annuler la révision constitutionnelle de novembre 2019, la Cour invoque notamment, l’article 10 alinéa 2 de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance qui dispose que les « Etats parties doivent s’assurer que le processus d’amendement ou de révision de leur Constitution repose sur un consensus national comportant, le cas échéant, le recours au référendum ». En dehors du référendum, qu’il recommande le cas échéant, la Charte ne donne aucune définition, même indicative, du consensus. Par contre l’on peut définir négativement le consensus par ce qu’il n’est pas et le moins que l’on puisse dire, c’est que le consensus n’est pas l’unanimité.

Dès lors, lorsque le Bénin décide de réviser sa Constitution, il s’en tient à son droit interne et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’a pas eu besoin de la Charte pour poser la première définition constitutionnelle du consensus. Elle est contenue dans sa Constitution de 1990 alors que la Charte n’a été adoptée qu’en 2007 et n’est entrée en vigueur qu’en 2012. Au terme de l’article 155 de la Constitution béninoise, « la révision n’est acquise qu’après avoir été approuvée par référendum, sauf si le projet ou la proposition en cause a été approuvée à la majorité des quatre cinquièmes des membres composant l’Assemblée ». Autrement dit, pour le Constituant béninois, le consensus a deux définitions, la première, ce sont les quatre cinquièmes des Députés et la seconde, c’est le vote référendaire positif.

Le problème avec cette décision de la Cour, c’est que la révision constitutionnelle querellée a été acquise à l’unanimité des Députés présents ou représentés, donc au-delà des quatre cinquièmes exigés par le consensus de la Constitution : Il ne revient donc à la Cour que de le constater. Mais si au lieu de se contenter de le constater, elle se préoccupe de la couleur de l’Assemblée, de la régularité ou non de son élection etc., etc., elle ne fait plus du Droit ; elle fait de la politique car ces observations relèvent du Politique et donc de l’opposition qui, de toutes les façons, ne se prive pas de les faire.

De même, le droit à l’information qui serait, selon la Cour, violé dans cette procédure est fortement contestable car non seulement il n’y a pas une façon unique d’organiser le droit à l’information, mais aussi et surtout nul, et surtout pas le demandeur, ne peut se prévaloir d’avoir demandé des informations relatives à cette question auprès des Autorités compétentes et que celles-ci aient volontairement refusé de les lui donner ; et d’ailleurs tous les documents officiels sont aujourd’hui presqu’instantanément disponibles sur les réseaux sociaux.

La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples

Par ailleurs, lorsque la Cour demande l’abrogation de réformes cinq mois seulement avant l’élection (Novembre 2020-Avril 2021), alors même que, d’une part, ces lois ont été promulguées dix-sept mois avant l’élection (Novembre 2019-Avril 2020), là où la Cedeao prescrit un délai de six mois avant les élections et, d’autre part, que la Cour attend douze mois après leur adoption (novembre 2019-novembre 2020) pour demander leur abrogation. La Cour ne peut se substituer aux Cours et Conseils constitutionnels des Etats membres pour s’inscrire dans le rôle d’arbitre de la politique.

Le troisième exemple, c’est quand la Cour demande au Bénin, un peu plus tôt dans l’année, de suspendre l’organisation des élections communales en attendant sa décision au fond parce que le fait pour Mr Sébastien Germain Ajavon de ne pas aller à l’élection présidentielle de 2021 lui créerait des dommages irréparables. Le problème, c’est qu’elle se fait une idée trop extensive pour ne pas dire trop laxiste du « dommage irréparable ». Peut-on sérieusement considérer le fait pour un citoyen de ne pas prendre part à une élection présidentielle, aléatoire par sa nature -puisqu’une élection, on peut la gagner comme on peut la perdre- et répétitive par sa finalité -puisqu’elle s’organise tous les cinq ans- comme pouvant occasionner des dommages irréparables ? Si le Bénin avait suivi cette demande, les élections communales n’auraient pas été organisées à bonne date ; elles auraient été organisées au mieux, en Janvier 2021 et, au pire, en Avril 2021, étant entendu que le processus électoral s’étale au Bénin sur trois mois minimum. Le grand collège des parrains n’aurait jamais été constitué à temps pour l’élection présidentielle de 2021.

Par ailleurs et dans le même registre, considérer le parrainage comme une mesure d’exclusion est bien ridicule car par essence, tout critère, de quelque ordre et de quelque nature que ce soit est nécessairement exclusif : tout est dans la pertinence du critère. Sauf à considérer que tous les parrains sont élus sur les listes des partis soutenant l’action du Gouvernement (UP et BR) et une frange de l’opposition (les FCBE) ; mais ce faisant, la Cour ne fait plus du Droit, elle fait de la politique et elle ne le fera jamais mieux que l’opposition qui ne rate jamais une occasion de le rappeler.

Le quatrième exemple, c’est quand la Cour demande à l’Etat Béninois de s’opposer à l’exécution d’une décision de justice dans l’Affaire Société Générale Bénin contre la Société d’Hôtellerie, de Restauration et de Loisirs (SHRL) pour, quelques temps plus tard, lui reprocher de violer le principe de la séparation des pouvoirs.

En tout état de cause, avec toutes ces décisions, oh combien contestables, on ne peut plus faire l’économie d’une réflexion de fond sur les réformes à faire au niveau de cette Cour. Il faudrait regarder du côté de son organisation et de son fonctionnement. En effet, il n’est plus concevable que les Etats ne puissent pas avoir les moyens de contester leurs condamnations ; le principe de double degré de juridiction doit être instauré : c’est d’ailleurs un acte de souveraineté. Une autre direction de la réforme doit concerner la procédure de désignation des Juges. Aujourd’hui, la qualité ainsi que la compétence de la majorité des Juges sont douteuses. Une troisième direction des réformes doit concerner la redéfinition et disons-le tout de go, la limitation des compétences de la Cour. La Cour ne peut continuer de faire une interprétation lato sensu des droits de l’homme pour définir sa compétence et aucun Etat ne peut accepter qu’elle se transforme en Tribunal de première instance et de dernier recours en toutes les matières, qu’elles soient commerciale, administrative, judiciaire, constitutionnelle et des comptes. La voie de la réforme est la seule solution pour lui éviter des crises futures ; il est urgent de procéder à ces réformes car après les retraits du Bénin et de la Côte-d’Ivoire il ne reste plus que six pays sur cinquante-quatre qui lui permettent de fonctionner et à force d’afficher des manquements aussi graves, elle court le risque de disparaître.

Par Topanou Prudent Victor,
Maître de conférences de Sciences politiques
Université d’Abomey-Calavi

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