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4 milliards, 10 milliards, 39 hectares : Oser le silence à la confluence 2020-2021 [Chronique Roger Gbégnonvi]

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Impasse sur les bons vœux. Même si l’on pense que s’y prêtent plus qu’à l’habitude les tristes moments que nous vivons et dont nous n’entrevoyons pas la fin. Raison donc pour ne pas surcharger de ridicule le tragique en lançant des pelletés de « bonne et heureuse année », appuyées par des sourires jusqu’aux oreilles et par l’entrechoc des coudes levés ou des poings serrés, gestes de malveillance qui annulent la formule de bienveillance. La confluence 2020-2021 ne nous transforme pas en thaumaturges pouvant faire endosser la convivialité à l’hostilité. Haïssant les bonnes manières, la tragédie ambiante a mis au placard le côté jour de notre mode d’existence, jeté aux orties shakehands et bises. Prenons-en acte. Substituons-leur la retenue et la modestie du peuple du Mahatma Gandhi : mains jointes, tête penchée en avant, face à la personne aimée. Rituel un peu lent, mais il sauve les meubles de la civilisation, et il est empreint de commisération en ces temps d’épouvante.
Les Béninois ont deux autres raisons ponctuelles de ne pas jouer les thaumaturges. La première tient à l’affaire dite des 4 milliards montés très vite à plus de 10. Il est d’une gravité hors-série que les gardiens des Finances de l’Etat aient ordonné à leur jeune collègue Charlie de voler beaucoup d’argent pour eux et pour lui-même. Si on ne les y avait pas pris et remis à la CRIET, avec l’argent volé, à noël qui vient, ils joueraient les pères-noël rutilants de cadeaux pour enfants et adultes, se répandraient en cultes religieux pour remercier Dieu de ses bienfaits à leur égard et, à l’occasion, feraient ripaille avec parents et amis, glissant entre les mains de certains une liasse de billets que l’on reconnaît tout droit sortis de la Banque centrale à cause de leur virginité. L’on reconnaît aussi les dessous de la bonté théâtrale du parent ou de l’ami, haut fonctionnaire de l’Etat. Mais où est le mal si le lascar nous en fait profiter ? Puisse la triste confluence 2020-2021 être moment d’introspection pour nous. Allons-nous continuer à bénir le vol parce que, avec l’argent volé, le voleur fait du bien en aval ? Et le mal fait en amont en termes, par exemple, d’hôpitaux-mouroirs et d’écoles-dortoirs, parce qu’ils n’ont rien de ce qu’il faut pour que l’on y acquière vie et savoir ?
La deuxième raison tient à l’affaire dite des 39 hectares ‘‘emportés’’ par des agents subalternes chargés de protéger l’habitat de leurs concitoyens. Emportement du reste normal, car un comité de lotissement s’apparente à une mafia animée par un géomètre Ali-Baba. Grâce à des charcutages frauduleux, chaque conjuré emporte une à deux parcelles à revendre. Et le Maire, chef de la conjuration, se retrouve toujours avec la part du lion. Ce qui est nouveau, c’est qu’on ait pris les ‘‘emporteurs’’ et qu’on les ait remis à la CRIET. Sinon, à la saint-sylvestre qui vient, munis du pactole de moult terrains revendus, les lascars iraient au village faire étalage de leurs voitures cossues et de leur torse bombée, soupèseraient les demoiselles paysannes pâmées face au mât de cocagne ambulant, distribueraient ribambelle de petites coupures, feraient un tour discret chez le chef Vaudou pour amplifier leur stock de grigris et renforcer le pacte de sorcellerie, définie par Nathanaël Yaovi SOEDE comme « une pratique qui est aux antipodes de la vie et de la vocation d’homme. Elle dénature celui qui se voue à elle et en fait un meurtrier parce qu’il est facteur de mort ». Et dire que nous aimons et cultivons la sorcellerie ! Quel ‘‘grand soir’’ les Béninois se préparent-ils tous les soirs ?
Un jour où il regardait, avec plaisir, des enfants jouer, Henry de Montherlant, avec déplaisir, soupira : « Ils seront hommes, c’est-à-dire hypocrites. » Puissions-nous, ici et ailleurs, saisir la triste occasion de la tragédie mondiale qui caractérise la confluence 2020-2021 pour oser le silence, entrer en nous-mêmes, réfléchir à devenir des hommes, pas hypocrites mais vrais. Des hommes honnêtes. C’est difficile. Mais c’est possible.

Roger GBÉGNONVI

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