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Secourir les gamines contraintes à grossesse [Chronique Roger Gbégnonvi]

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Bonjour Pépé et merci de nous recevoir chez vous. Nous sommes deux sages-femmes et une infirmière. Nous exerçons notre métier à la Maternité Le Soleil. Nous avons voulu nous entretenir avec vous dans l’espoir que vous allez relayer notre préoccupation et que, ainsi, elle aura plus de chance de bénéficier de l’attention de l’Etat. Nous avons en effet la triste conviction que le malheur qui nous tombe dessus régulièrement n’épargne pas nos collègues dans les autres maternités du Bénin et qu’il s’agit donc d’un malheur national.
Ce sont des gamines de 13-14 ans, scolarisées ou pas, laissées trop à elles-mêmes par des mères célibataires, qui ont la charge parfois d’une demi-quinzaine d’enfants, de lits différents mais rapprochés. Courant de jour et de nuit pour subvenir à leurs besoins basics, ces mères ignorent tout le reste. Et c’est pourquoi il ne se passe pas de semaine sans qu’une ou deux de leurs gamines nous approchent discrètement, à domicile ou à la maternité, et nous supplient en larmes : « Maman, il faut m’enlever ça. Celui qui m’a fait ça n’en veut pas. Il dit même que ce n’est pas lui. Mais moi je sais que c’est lui. » Et la gamine tente de vous glisser entre les mains l’argent pour l’opération clandestine. Le commanditaire y a pensé.
La grossesse a déjà parfois bien plus de trois mois. Et le culbuteur n’est pas toujours un authentique voyou ou un enseignant passé prédateur, ce peut être – on a connu le cas – un Papa respectable à qui la Maman de la gamine doit une fière chandelle parce que, un jour, il l’a tirée avec générosité d’un petit ennui d’argent. Raison pour laquelle elle envoie de temps en temps chez lui sa gamine pour qu’elle aide son épouse à tenir propre leur maison. En l’absence de Maman sortie pour des courses, si Papa contraint parfois la gamine et que grossesse s’ensuit, on comprend, hélas, qu’il refuse de l’assumer pour ne pas mettre le feu à son foyer et à sa bonne réputation. Le voilà, dès lors, prêt à payer n’importe quoi pour enrayer la vie qu’il a semée chez la gamine, laquelle il dépêche incognito vers nous.
Notre métier ne consiste pas à envoyer les bébés à la tombe mais à les faire naître au monde. Et nous refusons de nous renier, refusons de rendre le service funeste qu’on nous demande. Nous promettons aux gamines de les accompagner pour porter une grossesse dont nul ne veut rien savoir autour d’elles. Sur cette promesse, elles disparaissent et nous ne les revoyons pas. Mais le cœur nous saute dans la poitrine quand les media informent que le cadavre d’un bébé a été retrouvé dans une fosse septique ou qu’un bébé vivant et vagissant a été retrouvé abandonné dans une brousse aux abords d’une voie traversant la commune. Angoisse ! Le bébé dans la fosse ou dans la brousse, serait-ce l’un de ceux que nous avons refusé d’éteindre ? Malaise ! Sommes-nous sages-femmes et infirmières pour que des gamines emplissent nos sommeils de cauchemars parce que nous aurons respecté une semence de vie en elles ? Malaise. Profond malaise. Alors, nous voici devant vous, cher Pépé.
Ce que nous souhaitons civiquement, c’est que l’Etat légifère pour que préservatifs et tous moyens contraceptifs licites deviennent monnaie courante partout à l’instar de la trithérapie pour nos malades atteints du VIH-Sida. L’enjeu rend notre souhait humanitaire. Musulmane, catholique, adventiste, nous nous démarquons de nos guides spirituels parce qu’il ne s’agit pas de l’esprit mais du corps et de l’avenir du Bénin mis en danger par les mâles qui font leurs délices de la fraîcheur des gamines et les poussent ensuite au meurtre prénatal. Par l’éducation dispensée dans ses écoles, l’Etat soigne l’esprit et le corps. Mais il est seul en charge des corps en détresse, lui seul peut légiférer pour secourir les gamines de 13-14 ans contraintes à grossesse, lui seul peut imposer à tous le respect mutuel et sacré.
Merci, Pépé, de nous avoir écoutées. Nous allons, à notre tour, vous écouter.

Roger GBÉGNONVI

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