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Pandémique mépris de l’Afrique [Chronique Roger Gbégnonvi]

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Le 27 mars 2020, sur deux chaînes de télévision de grande écoute, Antonio Guterres s’épanche sur l’hécatombe réservée par le Covid-19 à l’Afrique : « Il faut absolument faire de l’Afrique une priorité de la communauté internationale. Je crois qu’on aura en Afrique des millions et des millions de personnes infectées. Et même si la population est plus jeune que dans les pays développés, il y aura nécessairement des millions de morts. »
« Nécessairement des millions de morts ». Le chaos. Parce qu’il avait été vu et prévu que, ne pouvant pas se faire soigner, les Africains ne pourraient que se faire enterrer. Or, le 10 avril 2021, l’ “African Union Member reporting Covid-19 cases” fait le point et annonce que le Covid-19 a causé en Afrique 115.000 décès en un an. On en déduit que le compte onusien n’y est pas, ce qui n’empêche pas de trembler pour l’avenir. Mais pourquoi les Africains tardent-t-ils à mourir par millions du Covid-19 ? La logique eût été que l’on dépêchât au sud du Sahara des virologues chevronnés accompagnés de climatologues, de sociologues et de nutritionnistes, afin d’étudier sur place pourquoi le Covid-19 semble, pour le moment, frapper moins l’Afrique que le reste du monde. Etant entendu qu’on se servirait des résultats obtenus pour faire baisser dans le reste du monde le taux de mortalité dû au Covid-19. La démarche a peut-être été faite sans tambour ni trompette. Si oui, pourquoi n’en a-t-on pas divulgué les résultats pour que le reste du monde en profite et que l’Afrique elle-même soit amenée à mieux soigner tout ce qui paraît atténuer chez elle les ardeurs du Covid-19 ? Au demeurant, on ne peut pas rester à New-York et à Rome et supputer sur « la drôle de chance des Africains ». Il faut y aller voir, en Afrique, pour le salut du monde. Mais que conclure si, par extraordinaire, la démarche n’avait même pas été du tout envisagée ?

Conclure que ce n’est pas extraordinaire, car il prévaut dans le monde l’idée que l’Afrique est source de ressources naturelles pour le monde et non source de salut pour le monde. « Bizarre ! Les Africains ne meurent pas comme prévu ? Bof, grand bien leur fasse ! » Cela pensé, on repousse avec mépris les traitements anti Covid-19 proposés par le Bénin, le Cameroun et Madagascar. Car le salut du monde ne peut venir de l’Afrique, ses enfants étant normalement condamnés à tous les malheurs et à la mort. Et pas besoin de remonter loin dans l’histoire pour cueillir les preuves de cette normalité. Au siècle XIXème, jouxtant celui des Lumières, un agent de liaison de Liverpool, un peu naïf, s’épouvante des us et coutumes des Belges au Congo-Belge : « Tomber par hasard sur un meurtre doit déjà être assez pénible. J’étais tombé sur une société secrète d’assassins chapeautée par un roi. » Car, pour s’enrichir des richesses naturelles de sa vaste possession le Congo, il fallait bien au bon roi Léopold II, catholique fervent, ce que Adam Hochschild appelle « Un holocauste oublié ». En ce même siècle, suivant celui des Lumières, on créa á Lyon une société missionnaire pour « ouvrir le ciel aux pauvres noirs » (sic). Le 7 février 1881, face à des jeunes Français prêts à l’aventure de la mission d’évangélisation, le père Planque, co-fondateur de la Société, dépeint une Afrique effrayante á tout point de vue et termine sur une note dantesque : « Le Démon et l’Enfer se déchaîneront contre vous. » Le chant du départ, dont la musique est de Gounod, attise et confirme l’effroi. Et Annie Voisin de conclure sobrement : « Ce chant sera longtemps chanté. Même après la seconde guerre mondiale on l’entendra encore. »
Le pandémique mépris de l’Afrique n’est donc pas une fiction, c’est une vaste réserve de cynisme occidental où Antonio Guterres a puisé le 27 mars 2020. Et tous doivent apprendre à présent, avec le Secrétaire général de l’ONU, qu’á trouver normales souffrance et mort de tout un pan de l’humanité, l’humanité n’avance pas. Or l’humanité doit avancer.

Roger GBÉGNONVI

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