Comment annoncer à une famille qu’un proche n’a pas survécu aux soins médicaux ? Une question douloureuse, souvent laissée sous silence, mais bien réelle pour les professionnels de santé au Bénin. Entre stress, pression morale et absence de formation spécifique, médecins et soignants racontent, à l’occasion de la Semaine des travailleurs de santé, la gestion de ces instants critiques qui marquent une carrière à jamais.
Dans les couloirs climatisés d’un centre de santé de Cotonou, capitale économique du Bénin, un jeune médecin généraliste vit l’un des moments les plus éprouvants de sa carrière : annoncer à une famille que leur parente, mordue par un serpent, n’a pas survécu malgré les soins prodigués. Une injection de sérum antivenin, un arrêt cardiaque, puis le décès. Derrière les portes de la salle de réanimation, le professionnel tente de maîtriser son angoisse. Réfugié dans les vestiaires, il appelle à l’aide un confrère plus expérimenté.
Comment dire l’indicible ?
« Il faut appeler la famille dans un lieu calme, respecter leur douleur, et leur parler avec empathie. Enfin, il faut leur laisser le temps de poser des questions, le temps de laisser couler quelques larmes ou d’exprimer leurs émotions. », conseille Dr Gratias, psychiatre au CNHU-HKM de Cotonou. L’art de la « mauvaise annonce » ne s’improvise pas. Pour de nombreux médecins béninois, c’est un apprentissage quotidien, en dépit de la bonne doses de formations reçues dans les facultés de médecine à Cotonou ou ailleurs.
Le jeune praticien n’est pas un cas isolé. À travers les témoignages recueillis par Lameteo, plusieurs soignants évoquent ce devoir pénible qu’ils doivent assumer dans une atmosphère souvent tendue, face à des familles en attente, entre espoir et angoisse.
Des pathologies complexes, un contexte défavorable
Dr Gratias classifie les situations cliniques en quatre types de cas difficiles : symptomatologie bruyante, diagnostic flou, traitement indisponible ou inefficace. Ces cas critiques se retrouvent autant dans les hôpitaux de référence que dans les centres de santé de périphérie, où les ressources techniques et humaines sont limitées.
Dr Régis, médecin généraliste au CNHU-HKM, pointe du doigt les défis structurels. « Certains patients arrivent à un stade trop avancé de la maladie, sans avoir pu effectuer les examens nécessaires, faute de moyens. D’autres sont en détresse vitale et ont besoin d’une évacuation sanitaire impossible. », détaille-t-il.
Ces limitations rendent l’annonce d’un décès encore plus lourde : comment expliquer à une famille qu’un simple paludisme a dégénéré faute de moyens ? Comment assumer la mort d’un patient quand on n’a pas eu les outils nécessaires et disponibles à temps pour le sauver dans des établissements sanitaires privés ou publics ?
Quand soigner rend malade
Au fil du temps, cette pression psychologique permanente se transforme en maladies professionnelles. En France, Santé publique France alerte sur la santé mentale dégradée des soignants exposés au stress chronique : troubles musculo-squelettiques, asthme, cancers, mais aussi maladies neurodégénératives.
Au Bénin, où les conditions de travail sont parfois précaires dans certaines structures sanitaires, chaque soignant développe ses propres mécanismes de survie.
Dr Régis privilégie l’anticipation des complications médicales et s’offre des moments de détente pendant ses temps de repos. L’infirmier Léger, en poste à Togba, un arrondissement de la commune d’Abomey-Calavi, s’impose une routine post-garde : bain, musique douce et sport. D’autres, comme Dr Gracias, misent sur le soutien de leurs supérieurs hiérarchiques et de leurs aînés pour garder le cap.
Accompagner la mort avec dignité
Dans un pays où le système de santé est en construction, où les attentes des familles sont souvent aussi fortes que leur détresse, les soignants endossent parfois le rôle de soutien psychologique. L’annonce d’un décès devient un moment de vérité, où les mots choisis et l’attitude adoptée peuvent transformer la douleur en dignité.
Comme le confie un médecin rencontré : « On ne s’habitue jamais à annoncer une mort. On apprend juste à le faire avec plus d’humanité. »