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Grisaille autour du gris-gris béninois à Paris

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Biowá Nàglókú, dans son village Sêxwidé, est depuis plus de vingt ans le socle de Guy Sêmêton, installé en France depuis son adolescence dahoméenne. Biowá maîtrise la science des plantes et les sciences occultes. Entre Guy et lui, les rapports se sont trouvés facilités par l’invention du téléphone portable. Guy en a offert un au septuagénaire avec une dotation en CFA pour l’achat des crédits. La plus jeune du modeste harem de sept épouses manipule l’appareil pour son mari, analphabète intégral, au lieu que elle garde des souvenirs de ses trois lointaines années de cours primaire. En plus des appels au téléphone, Guy descend tous les deux ans pour des bains rédempteurs et pour faire provision de bagues, d’amulettes, de cordelettes, de talismans, d’incantations nouvelles, etc. Biowá lui a fait une vie réussie. Grâce à Biowá, il a divorcé trois fois sans se ruiner – ce qui n’est pas rien en France – , et par rayons infra-noirs, il a rendu chaque répudiée indésirable à tout jamais ; à force de boulettes glissées sous la langue avant de leur parler, il est devenu le chouchou des gens de la haute hiérarchie de l’usine de retraitement des ordures ménagères où il est employé ; il est devenu contrôleur-adjoint après avoir sinistré, par incantations suraiguës, trois autres candidats bien meilleurs que lui. Etc. Biowá a fait de Guy un être tonique. Après avoir vanté ses exploits aux Béninois et autres Africains transplantés en France depuis des lustres, il a décidé d’y faire venir son héros pour un mois pendant lequel il concocterait pour les amis nègres de la banlieue parisienne des gris-gris puissants leur permettant de tenir tête à tous les malheurs dans cette France, cartésienne à tout crin, et qui ne comprend rien aux réalités infra-logique.

Début de l’été 2018. Guy va chercher Biowá pour son premier voyage hors du village natal. Tout se passe bien. Mais au moment de sortir de l’aéroport de Roissy, Biowá se crispe soudain, s’agrippe à Guy et se fige. Guy prend peur. ‘‘Père, vous tremblez ?’’ – ‘‘Regarde donc cette porte ! Personne n’y a touché, et elle s’est ouverte.’’ Habitué à ce manège, Guy tire Biowá vers la sortie : ‘‘C’est comme ça ici, Père, et si nous restons plantés là, elle ne se refermera pas.’’ Derrière eux, le portail de verre se referme. Biowá remue la tête et suspend sa parole. Il la reprend le lendemain au petit déjeuner, conçu béninois, pour atténuer à l’hôte le choc du dépaysement. Et l’hôte dit : ‘‘Fils, tu m’as conduit dans un pays étrange. Les Blancs aussi ont des forces cachées. Retour chez nous, je consulterai l’oracle et je saurai.’’
En attendant, conduit par Guy, il fait le travail. Pas plus que le smartphone ou l’avion, les cages qui le baladent entre les cases dans les ventres sombres des amoncèlements de pierre et d’acier ne l’émeuvent pas. Mais leurs portes qui s’ouvrent et se referment sans qu’on n’y touche, panique ! Et puis, et puis, oui, ces escaliers dans certains lieux publics, ils marchent, les escaliers marchent, effroi ! Et à chaque fois, peur de s’évanouir, Biowá se colle à Guy. Cahin-caha, il finit le mois, comblé d’euros, que Guy lui convertit en CFA collecté sur les réserves des ‘‘frères’’ des pays CFA. Il ne raccompagne pas Biowá pour le retour, l’épouse lettrée ayant reçu les consignes nécessaires pour accueillir son mari à l’aéroport de Cotonou.
Une semaine plus tard, Biowá et Guy sont au téléphone. ‘‘Fils, je suis ébranlé. J’ai consulté l’oracle. Rien ! Derrière vos portes et escaliers, il n’aperçoit que grisaille. Tes blancs sont très forts, ils sont mauvais, ils pourraient neutraliser mes gris-gris. Déjà, je me sens moi-même dans une espèce de grisaille. Merci pour ton accueil, mais tu ne m’invites plus là-bas. Je t’attends ici comme avant. Je vais me refaire une santé pour continuer à t’aider.’’
Lui ‘‘dans une espèce de grisaille’’ ? N’était-ce une simple traduction, on lui ferait procès de tirer grisaille de gris-gris. Sur la base de quels méfaits ? Griserie serait tolérable, si soulerie ne se montrait aussitôt en filigrane. Rien donc de bon à tirer du gris-gris béninois ?

Roger Gbégnonvi


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