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Érosion côtière dans le Golfe de Guinée : Désespoirs et attentes au Bénin et au Togo [1ère partie]

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Dans le golfe de Guinée, en Afrique de l’Ouest, l’océan Atlantique déchaîne chaque année sa fureur sur le Bénin et le Togo, deux pays côtiers voisins dont le littoral commun s’étend sur 180 kilomètres. L’érosion peut atteindre jusqu’à 12 à 30 m par an, laissant des pans de terre menacés de disparition. Les maisons et la végétation sont perdues, et les moyens de subsistance sont paralysés, plongeant les communautés dans le désarroi.

Maisons affectées par l’érosion côtière à Agoué
Images par Ange BANOUWIN/Internews-EJN. Bénin, juin 2022

L’absence de progrès dans le cadre du Programme des zones côtières d’Afrique de l’Ouest (WACA), un projet transfrontalier conçu pour protéger les victimes de l’érosion côtière, a laissé les communautés côtières du Bénin et du Togo vulnérables, avec leurs vies et leurs moyens de subsistance à la merci de l’océan.

Les pêcheurs d’Apoutagbo au Bénin face aux hautes marées

En juin 2022, à Apoutagbo, Grand-Popo, au Bénin, Kodjo Cocoroco n’est pas allé en mer comme d’habitude. Il ne peut plus faire face à l’intensité de la marée.
“Aujourd’hui, à mon âge, 50 ans, il faut se réveiller à 2 heures du matin, et nager pour monter dans le bateau. C’est difficile de nager. Nos bateaux sont à environ 400 mètres de la côte”, dit-il. Auparavant, note-t-il, on pouvait le faire avec une pagaie.
Maintenant, les pêcheurs doivent nager jusqu’à leur bateau avant d’embarquer, et revenir à la nage jusqu’au rivage depuis leur bateau, en portant leur prise du jour.
“La mer cause beaucoup de dégâts”, explique en français Benoît Tossou-Djadja, représentant des pêcheurs de la plage. “Surtout du mois d’août à septembre, elle détruit les maisons le long de la plage et casse aussi nos pirogues”.
Lorsque la marée est haute, les pêcheurs doivent pêcher dans la lagune, un bras du fleuve Mono, même si la pêche en haute mer est plus rentable. Cependant, la mer est aussi plus dangereuse.
“Il y a environ un mois et demi, nos bateaux ont été renversés par la mer. Nous pouvons en compter au moins sept”, déclare Cocoroco, qui affirme avoir perdu par le passé un bateau à moteur d’une valeur de 1.300.000 francs CFA.
“En 2021, la mer a détruit au moins quatre pirogues ici. Une seul barque vaut environ 1.500.000 francs CFA. Nous avons pu récupérer les moteurs et les réparer. Une fois renversés, il y a du sable qui rentre à l’intérieur, et des pièces qui sont cassées”, explique Tossou-Djadja.
Vers midi, les femmes attendent d’acheter les prises fraîches des pêcheurs qui reviennent, ce qui leur permet de subvenir à leurs besoins. L’une d’entre elles, Essénam Messanti, décrit les difficultés auxquelles les femmes sont confrontées en raison des grandes marées.

Kodjo Cocoroco, pêcheur devant l’un de ses bateaux sur la plage d’Apoutagbo
Image par Ange BANOUWIN/Internews-EJN. Bénin, juin 2022

Quand la mer est déchaînée, nous, les femmes, avons beaucoup de difficultés, car nous ne trouvons pas de poisson à acheter. Personne ne va en mer… Toutes les dépenses sont à notre charge, si nous avons des économies, nous devons les utiliser. Sinon, nous n’avons pas d’autres activités”, dit-elle. “Parfois”, explique-t-elle, “cela peut durer un mois, ou deux semaines [sans poisson]”.
“Si la marée est haute, c’est difficile pour les pêcheurs. Certains y vont, mais d’autres n’ont pas la force d’y aller”, ajoute Florence Kétévi, femme de pêcheur. “Il y a environ deux ans, la mer est passée par ici jusqu’à se jeter dans la rivière. Des machines sont perdues, des pirogues aussi. Nous avons appelé à l’aide, mais nous n’avons vu personne”.
Selon Cocoroco, une grande partie de sa communauté a été contrainte de quitter le Bénin pour aller pêcher au Cameroun, au Congo et au Gabon.
“Aujourd’hui, j’ai au moins quatre pirogues et six bateaux à moteur. Si je peux pêcher, et si nous pouvons facilement aller en mer, je peux avoir au moins 50 000 francs CFA par jour”, dit-il. Malheureusement, ce n’est plus le cas.

Érosion côtière dans le golfe de Guinée

L’érosion et les grandes marées sont des problèmes interconnectés qui menacent le littoral du Bénin. Les grandes houles de l’Atlantique Sud contribuent à l’érosion des falaises, des plages et des berges du Bénin. Cette érosion donne lieu à des marées plus fortes qui, à leur tour, créent de nouveaux dégâts.
Selon le Journal of Coastal Research, le littoral de l’Afrique de l’Ouest se trouve naturellement dans une position géographiquement vulnérable, et bien qu’une partie de l’érosion côtière puisse être attribuée à l’impact des houles de l’Atlantique Sud, elle a été accentuée par le développement humain.
“L’érosion est due à la forme géologique des côtes, ensuite à la vitesse des vents et à la hauteur des marées (marée haute/marée basse)”, explique Moussa Bio Djara, scientifique en géomorphologie côtière et spécialiste technique littoral de WACA au Bénin.
Le littoral entre le Bénin et le Togo est soumis à une érosion sévère depuis 1986, où le phénomène est devenu prévalent. Cela a été aggravée par les épis financés par l’Union économique et monétaire de l’Afrique de l’Ouest (UEMOA), construits en 2012 sur la côte togolaise et qui ont eu un impact sévère sur la côte ouest du Bénin à Hillacondji, Agoué, Louis-Condji, Aïguinnou et Grand-Popo.
“La côte ouest africaine, disons dans le golfe de Guinée, a des périodes critiques. Au mois de juin, on commence à avoir une marée haute, qui est soumise à des tempêtes qui peuvent survenir à tout moment. Cette période critique va de juin à septembre… Et ça arrive chaque année”, explique le Dr Zacharie Sohou, océanographe, biologiste ; directeur de l’Institut de recherche halieutique et océanologique du Bénin (IRHOB), au sein du Centre béninois de recherche scientifique et d’innovation.


“Il y a des situations extrêmes où les vagues dépassent 2m de hauteur, si non habituellement ce sont des vagues microclimats qui varient entre 1,5m et 2m. Ces situations extrêmes se produisent dans la période critique entre avril et octobre, lorsque les vagues sont beaucoup plus intenses et créent une érosion côtière”, explique le Dr Frederic Bonou, chercheur associé à l’IRHOB qui travaille sur les questions liées à l’érosion côtière, spécialisé dans l’utilisation de caméras vidéo et d’outils satellitaires pour l’analyse des caractéristiques côtières.


Pour déterminer le danger de la marée, les experts utilisent un système de couleurs. Les vagues de 1 à 1,5 m se situent dans la zone “verte”, ce qui indique qu’elles ne causeront que des dommages mineurs. Les vagues de 1,5 à 1,8 m se situent dans la zone “orange”, indiquant qu’elles peuvent causer des dommages. Pour les vagues de plus de 1,8 mètre, qui constituent la zone “rouge”, le risque d’érosion est important. Selon les experts, les vagues extrêmes peuvent durer jusqu’à six heures avant de revenir à la normale.

De l’intervention transfrontalière de WACA au Bénin et au Togo

WACA a été conçu par la Banque mondiale comme une réponse à l’érosion rapide des côtes en Afrique de l’Ouest. Il comporte deux volets : La collaboration interétatique au niveau sous-régional et la décentralisation au niveau national, et couvre six pays d’Afrique de l’Ouest, dont le Bénin, la Côte d’Ivoire, la Mauritanie, São Tomé et Príncipe, le Sénégal et le Togo.
Dans leur réponse régionale à l’érosion côtière, le Bénin et le Togo ont initié un projet de protection côtière transfrontalière avec le soutien de WACA, à travers un mécanisme de financement conjoint.
Ce projet de protection côtière transfrontalière est le premier du genre entre les deux pays. En utilisant les informations collectées et recoupées avec des experts des deux pays, la WACA mettra en œuvre deux méthodes de protection côtière, en fonction de l’impact de l’érosion – les brise-lames et les moteurs à sable. Les brise-lames impliquent la construction d’épis courts, tandis que les moteurs de sable sont un type d’alimentation de la plage qui nécessite un réapprovisionnement moins fréquent.
Les travaux s’étendront de la frontière bénino-togolaise à Agbodrafo sur 18 km au Togo et de la frontière à Grand-Popo au Bénin sur 23 km, soit un total de 41 km de côte.
Selon les sources officielles de WACA, 14 épis sont prévus sur le littoral togolais. Il s’agit notamment de la construction de sept épis à Agbodrafo et de la réhabilitation d’anciens épis (épis UEMOA réaménagés en 2012) à Aného. En outre, un épi longitudinal et une digue de sable de 500 mètres seront installés à Aného pour contrer la montée du niveau de la mer. Deux aménagements récréatifs et touristiques sont également prévus, composés de parkings et de pistes cyclables à Agbodrafo et Sanvé-Condji. WACA prévoit également de combler le bras mort de la lagune qui commence à Sanvé Condji, au Togo, et se termine à Hillacondji, au Bénin.

Etude régionale de suivi du trait de côte et élaboration d’un schéma directeur du littoral ouest-africain
Source : WACA

Au Bénin, WACA prévoit d’installer huit épis et un moteur à sable contenant 6,4 millions de mètres cubes de sédiments de la frontière du pays avec le Togo à Louis-Condji. Ils installeront également un dépôt de sédiments de 4 km en draguant le fond marin, et rempliront les bras de lagune abandonnés à l’est de l’embouchure à Grand-Popo. Le sable utilisé pour ces projets proviendra du dragage des fonds marins, dont on sait qu’il a des effets néfastes sur les écosystèmes marins, mais aucune étude d’impact environnemental n’est disponible dans la région. Tout comme le projet du Togo, WACA construira également des pistes cyclables et des parkings à Agoué et Hillacondji.
Si nous mettons le moteur de sable au Bénin, c’est parce que c’est la zone située en aval qui va subir l’impact négatif de l’ensemble des ouvrages que nous auront réalisé au Togo et au Bénin. Voilà pourquoi il faut atténuer cet impact là en mettant un moteur de sable, qui est ici l’élément dont la dynamique côtière au niveau du transi sédiment s’alimente dans son fonctionnement.“, explique Djara.
Selon Djara, la dynamique naturelle du littoral va faire que le dépôt de sédiments effectué par le moteur à sable va s’éroder progressivement avec le temps, jusqu’à ce que l’érosion ne soit plus possible.
La WACA prévoit également d’évacuer et d’indemniser les personnes vivant dans les limites du projet. Pourtant, à la mi-août 2022, bien que la WACA ait identifié les personnes qui seront déplacées et signé des accords, les résidents n’ont pas reçu leurs paiements.
La WACA a refusé de commenter les raisons pour lesquelles les résidents n’ont pas encore reçu d’indemnisation, mais a accepté de discuter de plusieurs défis auxquels le projet est confronté.
“Il est très difficile de mettre en œuvre des travaux transfrontaliers, car nous avons deux législations, nous avons deux administrations, deux contrôles de sécurité douanière”, a expliqué Djara. “A la frontière Bénin-Togo, il y a toujours des blocages malgré les interventions des autorités. Tant que ces difficultés ne sont pas levées, cela entrave un peu le bon fonctionnement de la mise en œuvre.”


“L’autre difficulté, c’est qu’à l’avenir, la plupart des études de faisabilité technique nécessaires à la réalisation de ces grands travaux soient déjà faites à la préparation des projets. Parce que s’il faut utiliser la durée du projet pour réaliser les études souvent, on a la pression et on vient réaliser à la limite de la durée de vie du projet”, a-t-il ajouté.


Deux contrats d’exécution pour la protection à long terme du littoral transfrontalier Bénin-Togo ont été signés le 6 décembre 2021, marquant le début officiel du projet. La société BOSKALIS INTERNATIONAL BV a été sélectionnée pour réaliser les travaux de protection du littoral pour un montant de 41 646 182 783 francs CFA. Le montant de 1.382.502.130 F CFA est mis à la disposition du groupe d’études du bureau de contrôle INROS-LACKNER pour assurer la supervision.

Les longs délais frustrent les habitants

Selon des données publiées dans le média béninois A Cotonou, 16% des espaces constructibles dont dispose la municipalité de Grand-Popo au Bénin pourraient bientôt être immergés, transformant les villages d’Avlo, d’Agonnekanmè et d’Alongo en îlots.
Aujourd’hui, la place du 10 janvier au Bénin, un site du patrimoine de l’UNESCO, est menacée de disparition. Les habitants estiment qu’une protection est nécessaire pour protéger ce site historique.
“La Place du 10 Janvier risque de disparaître, mais nous sommes confiants qu’avec les travaux qui ont été faits par le Ministère du Cadre de Vie et du Développement Durable récemment du côté de la lagune, que cela va calmer un peu le problème de ce côté. Nous attendons de pouvoir vraiment nous réjouir”, a déclaré Sohou.
Plus loin, à quelques kilomètres, se trouve la “Bouche du Roy”, qui désigne l’embouchure du fleuve Mono, dans le sud du Bénin. Selon Sohou, l’embouchure de la Bouche du Roy se déplace d’est en ouest, ce qui permet aux inondations de se produire.
En 2016, elle a été constituée en aire de conservation de la biodiversité communautaire de la Bouche du Roy (ACCB-Bouche du Roy), partie intégrante de la réserve de biosphère transfrontalière du delta du Mono, qui couvre une superficie de 9 678 hectares.

Selon les sources officielles de WACA, dans son approche décentralisée au Bénin, elle a soutenu des travaux de protection d’urgence pour stabiliser plus de 700 mètres de la rive sud du fleuve Mono ainsi que la Bouche du Roy, permettant un écoulement régulier des eaux du fleuve vers l’océan lors de fortes pluies. Cette stabilisation aide à prévenir les inondations de la rivière, car elle peut plus facilement se déverser dans l’océan.

Vue de la Place du 10 Janvier, menacée de disparition
Image par Ange BANOUWIN/Internews-EJN. Bénin, juin 2022

Au Togo, WACA a financé des travaux de protection côtière d’urgence sur un segment de 1 580 mètres entre Gbodjomé et Agbodrafo. Elle soutient également le développement et la mise en œuvre d’activités génératrices de revenus pour les communautés côtières des deux pays.
Cependant, les attentes sont de plus en plus longues pour les populations qui attendent le début des travaux transnationaux, qui continuent de tarder.
“Le projet WACA est un projet sous-régional qui ne dépend pas uniquement du Bénin, c’est un projet piloté par deux pays, le Togo et le Bénin”, a déclaré le ministre béninois du Cadre de vie et du Développement durable, José Didier Tonato. “Nous sommes deux pays voisins, frères. C’est pourquoi nous avons accepté lorsque l’UEMOA et la Banque mondiale nous ont proposé d’entrer dans un programme régional. Aujourd’hui, le plus difficile est derrière nous, les études sont terminées, les appels d’offres ont été lancés, les missions de suivi ont été recrutées et j’ai hâte de voir la protection du littoral se mettre enfin en place.”
Si le WACA est bien en vue pour protéger les côtes du Bénin et du Togo, les seuls résultats tangibles que les communautés voient sont des véhicules qui circulent à la mairie, et la frustration monte.
S’ils sont sûrs de ce qui va marcher, ils n’ont qu’à le faire”, lance Tino Agouenon, propriétaire d’un bateau de pêche. “On a vu qu’au niveau de la place du Janvier, [il y a deux ans] ils ont mis du sable du côté de la rivière, mais zéro [résultat]“. “Du côté du fleuve, ils n’ont pas réussi… alors comment vont-ils réussir du côté de la mer ?”, interroge-t-il avec scepticisme.

Ce reportage a été réalisé avec le soutien du Réseau de journalisme pour la Terre d’Internews.

Ange BANOUWIN

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