Pour mesurer le mal que nous inflige l’énigmatique Covid-19, il ne faut pas s’arrêter au nombre de morts, à la pauvreté et à la mendicité accrues, il faut entrer dans un lieu de culte, au sud du Bénin, deux mois après la fin du confinement. Sur les bancs où l’on se tenait naguère jusqu’à 15, nous voici à présent quatre, masqués, rigides, tournés vers l’officiant, lui-même masqué. Des zombis. Durant l’office, trois ‘‘cerbères’’ circulent pour vérifier que les mesures-barrières sont respectées et qu’il n’y a pas plus de quatre sur chaque banc. Sinon, celui de trop doit aller ailleurs, voire dehors où le trop-plein de fidèles est parqué sous deux tentes, soumis aux mêmes mesures-barrières. Les responsables du culte ne veulent pas être accusés de laisser courir la pandémie. Pendant plus d’une heure, derrière votre masque, vous avez été un inconnu pour vos voisins, lesquels ont été pour vous des inconnus derrière leur masque. Un quant-à-soi rendu obligatoire devant Dieu, à côté des hommes. Un haut lieu de fraternisation devenu lieu de distanciation, de méfiance. ‘‘Eloignez-vous de moi !’’
Voilà, précisément, le mal. Il se poursuit, se prolonge hors du lieu de culte. L’on doit baisser un peu le masque pour se faire reconnaître de l’interlocuteur : « Ah, c’est toi ! » Pour nous saluer, nous faisons s’entrechoquer les coudes pendant que nos mains ne servent plus qu’à être lavées et relavées. Restaurants et buvettes devenus sous-peuplés et passés sous surveillance policière. Convivialité et spontanéité sous contrôle. Encagoulés, on s’épie. La joie sous cloche. La vie ? Deux ou trois ans de cette vie, et la si gentille civilisation humaine se sera fait hara-kiri pour laisser déambuler des bipèdes quasi solitaires, apeurés et hargneux parce que placés sous le regard d’un virus inconnu qui les menace de mort imminente.
La défense de la civilisation humaine nous fait devoir de vaincre le Covid-19. Depuis environ sept mois qu’il a installé la peur et le deuil, le Covid-19 recèlerait une énigme dont témoigneraient les chiffres officiels du Bénin à la date du « 10 septembre 2020 : 2267 cas confirmés, 1942 guéris, 40 décès. » Ce nombre de morts en sept mois ne nous autorise pas à nous enorgueillir d’être encore vivants, car aucun de nos 40 morts ne se félicite d’avoir été fauché par le Covid-19. Nous ne saurions donc nous réjouir que le virus nous ait oubliés sur le plancher des vaches. Mais nos 40 morts sont un démenti catégorique aux tas de cadavres redoutés pour l’Afrique au tout début de la pandémie. Pourquoi les dizaines de millions de morts africains, logiquement entrevus, n’emplissent-ils pas déjà des centaines de fosses communes creusées en toute hâte ? La réponse scientifique à cette question constituera la résolution de l’énigme, ce qui nous mettra sur la bonne voie vers le bon remède mondial contre le Covid-19. Mais c’est à condition que, dans leurs laboratoires équipés, tous les virologues du monde acceptent de se poser les trois questions suivantes et d’y répondre à la lumière de leur science : 1- Les pays africains semblables au Bénin affichent-t-ils des chiffres semblables à ceux du Bénin ? Si oui, qu’y a-t-il dans leur écosystème et dans leurs marmites, qui les protège contre le Covid-19 ? 2- Les Africains semblables aux Béninois, et qui ont émigré en Occident il y a environ dix ans, montrent-ils la même résistance au Covid-19 ? Si oui, quel anticorps ont-ils, à leur insu, développé contre le Covid-19 ? 3- Les Africains semblables aux Béninois, qui sont nés de parents africains émigrés en Occident depuis des lustres et qui ont peu de contact physique avec l’Afrique, montrent-ils la même résistance au Covid-19 ? Si oui, quel est l’héritage génétique qui les protège contre le Covid-19 ?
Il faut aller vite pour que ne s’évanouisse pas le temps humain de Paul Eluard : « Il y a toujours puisque je le dis / Un cœur généreux / Une main tendue une main ouverte / Des yeux attentifs / Une vie la vie à se partager ». Non pas un coude levé, mais une main tendue.