Il faut croire qu’Abomey, la capitale de l’ancien royaume du Danxomê (Dahomey) n’en finit pas d’impressionner. Vaincu en 1894 par le lointain conquérant, ce dernier fut pourtant sous le charme ou le choc et s’obligea à « commémorer une glorieuse campagne. C’est le seul exemple à ma connaissance, s’étonne Robert Cornevin, où le nom d’un royaume vaincu ait déterminé l’appellation d’une entité territoriale cinq fois plus grande ». Abomey, symbole de résistance à l’envahisseur. L’entité cinq fois plus grande attendit 1975 pour s’appeler République du Bénin, afin que tous les concernés se retrouvent sous un nom unificateur. Aujourd’hui – l’acte final aura lieu le 10 novembre 2021 –, après environ 127 ans de séjour chez le lointain conquérant, un séjour programmé pour être éternel, une grande partie de son trésor emporté lui sera rétrocédé sous le label « objets pillés », RFI dixit.
Et il faut saluer la trouvaille sémantique. On ne rétrocède pas un « butin de guerre ». Or « piller » s’apparente à « voler » selon le petit Robert. L’Etat n’est pas censé voler. Mais les soldats qu’il a envoyés en mission de conquête peuvent succomber à la tentation du pillage et du vol dans les palais du roi et dans les résidences de la reine et des courtisanes. Leur acte déshonore la conquête. Et le temps est venu pour la République conquérante de laver son honneur terni par ses soldats indélicats. Il faut saluer le courage de la sémantique susceptible de faire maigrir le « Musée des Arts Premiers ». Car d’autres pays, autrefois conquis, vont sans doute vouloir entrer par la porte d’Abomey pour retourner en possession de leurs « objets pillés ». La très peu diplomatique sémantique leur facilitera la démarche.
Et Abomey soi-même devrait s’inspirer du courage de cette sémantique car, avant l’arrivée du lointain conquérant, Abomey avait déployé une ardeur conquérante dont ses voisins immédiats firent les frais. Et les voisins immédiats regardent toujours d’un mauvais œil tel trône posé sur quatre crânes humains. Crânes d’ennemis. C’était hier. Aujourd’hui, en « République du Bénin, une et indivisible », ce sont crânes de concitoyens et de frères en République. Abomey les raccompagnera en leur lieu d’origine, après leur avoir offert des obsèques solennelles. Les généraux Kposu et Gahu, envoyés en mission de reconnaissance par Abomey pour une prochaine invasion, ont été découverts et arrêtés. Enterrés vivants, leur tombeau se veut le Vodun de la vengeance à Xêvê, non loin de Grand-Popo. C’était hier. Aujourd’hui, ils sont concitoyens et frères en République. Le peuple Xwla recueillera ce qui reste de leurs restes. Sur la place des fêtes à Grand-Popo, la séculaire Association Nonvitcha (frères unis) leur offrira des obsèques solennelles. Puis la République les raccompagnera, avec les honneurs militaires, dans leur Abomey d’origine. Etc. Grandeur. Beauté. Bonté.
Car Abomey à nouveau célébré par le retour d’une partie de son trésor dans le Bénin révélé, c’est un chant qui s’élève pour interpeller à plus haut niveau que les rancœurs du passé entretenues au présent pour assombrir l’avenir. Abomey à nouveau célébré, c’est un chantier pour façonner le Béninois nouveau dont le Béninois de demain s’inspirera avec fierté pour avancer. Chant et chantier « Avec tous hommes de patience, avec tous hommes de sourire », dirait Saint-John Perse. Avec tous hommes d’espérance aussi. Belle et rude espérance de l’homme se recréant par soi-même par le dépassement constant de soi-même.
Car Abomey à nouveau célébré dans le Bénin révélé, c’est une étape magnifique de l’exaucement de Léopold Sedar Senghor qui priait : « Donne à leurs mains chaudes qu’elles enlacent la terre d’une ceinture de mains fraternelles dessous l’arc-en-ciel de Ta paix. » Et tous ont lieu et place dans la cordée. Et nul n’entravera plus la difficile remontée.
Générosité et magnanimité pour la tâche à faire sur la longue marche.