Au Bénin, les Tokpa-tokpa, minibus de 17 à 22 places sont très sollicités comme moyen de déplacement pour quitter la ville d’Abomey-Calavi et se rendre à Cotonou. Cependant, en cette période de pandémie du coronavirus, et en dépit de la mesure de distanciation exigée par le gouvernement dans les transports communs, certains opèrent dans un environnement sans règles, une vraie jungle.
Samedi 19 décembre 2020. Sous le soleil d’aplomb qui s’emploie à noyer, en vain, l’ardeur de fête qui plane sur la cité dortoir, un mini-bus communément appelé “Tokpa-tokpa” vient de démarrer en trombe. Il venait de sonner 13h 57′. À son bord, une demi douzaine de passagers en sueur. À la hauteur du marché d’Akassato, un arrêt. Trois passagers dont un homme grimpent à bord. Le moteur vrombit puis la guimbarde se lance à nouveau. Un, deux, trois… autres arrêts et le bus commence à refuser du monde mais l’apprenti continue de héler, «Vous allez à Tokpa?» Dès lors, l’ambiance n’est plus à la serénité. Déjà des grincements de dents, des gérémiades et des mécontentements. Ici, un passager qui refuse de bouger d’un seul pouce pour qu’un autre s’asseye. Là, un autre qui se plaint de sa douloureuse posture. Mais ce n’est pas encore la goûte d’eau qui fera déborder le vase. Temple des Témoins Jéhovah de Calavi. Et là, Dieu quitte la barque pour laisser place à la zizanie des saute d’humeur. Un passager se lâche sur le prix à payer pour la traversée vers le marché Dantokpa, point d’attraction de ces moments de liquidation tout feu tout flamme. «400frs pour aller d’Akassato à Tokpa? C’est trop cher payé. Je n’ai pas plus de 300frs». Tiens! Réagis l’apprenti bien débrayé aux yeux déjà assez bien allourdis par substances de tout genre. «Il n’en est pas question! C’est à 400 frs ou rien. Si pas d’accord, vous descendez ici et maintenant.» Le passager tient apparemment son affaire. Visiblement, un va-t-en-guerre, prêt à en découdre avec la paire de jeunots au contrôle de ces nombreux destins de plus en plus surexcités. «Je ne paierai que 300 frs. Et il n’est pas question que je descende. Vous êtes dans l’irrégularité et d’ailleurs, j’alerte déjà des policiers qui vous cueilliront à Tokpa pour votre incivisme.» Il n’a peut-être pas tort, le bus est plein à craquer.

Le Covid-19 et le code de la route peuvent attendre
Les mesures anti Covid-19 sont, ici, aussi obsolètes que le tacot. «Sapristi! Comment oses-tu?» Le dérapage redouté de tous survint. Le chauffeur, nettement plus jeune que celui qui fait office d’apprenti, s’invite à la dispute. Brouhaha d’indignation dans la carcasse motorisée qui semble tanguer au rythme des invectives et remontées de bretelles qui fusent de toute part. Le chauffeur serre sa droite un peu avant le Supermarché du Pont. Objectif, faire descendre le fauteur de trouble. Un esprit plus illuminé l’en dissuade et lui rappelle la hauteur d’esprit qui devrait être la sienne face à la situation. Il reprend, un instant, son calme puis se ravise. Mais le passager n’en avait pas fini. «Vous aurez maille à partie aujourd’hui avec les flics.», lança-t-il à nouveau au chauffeur et son balanceur (l’apprenti, dans le jargon ivoirien). Le mini-bus s’enflamme. Le chauffeur et son balanceur vocifèrent et lui lancent le défi d’appeler ses policiers sur l’instant. Le véhicule perd sa serénité. Tous les passagers ou presque prennent, chacun, leur parti. Qui contre le chauffeur et son collaborateur, qui, contre l’indélicat fauteur de trouble. Le rémue-ménage fait son petit bonhomme de chemin comme tous les passagers jusqu’au carrefour Togoudo. Invectives, menaces verbales, dénigrements, défis…, tout y passe. Mais, au finish, les esprits pacificateurs ont le dernier mot. Le jeune conducteur reprend le contrôle de la ferraille au grand bonheur des passagers tourmentés par le pire qui aurait pu se produire en ces moments de fêtes. Le balanceur, maintenant préoccupé par l’espèce sonnante et trébuchante, sait qu’il lui faut avoir la tête sur les épaules pour ne pas vendanger une partie de la moisson. Les passagers, désormais plus ou moins sereins même si intrigués par les appels incessants que reçoit le conducteur insouciant des implications de ce geste en violation du code de la route, fument le calumet de la paix. Dantokpa n’est plus loin. Discussion, causette, rumeurs, redonnent à tous la joie de vivre malgré la morosité économique évoquée ça et là. Le marché Saint Michel vient d’être passé. Le périple tire à sa fin.
À l’horizon et à perte de vue, les très prochains vis-à-vis de ces passagers qui sortent à peine d’une séance de passe verbales. Eux, ce sont les vendeurs ambûlants qui ont tout à offrir, même des poisons si vous n’y prenez garde. Et déjà, chacun s’imagine par où commencer ce shopping qui ne sera non moins tendu. Du mini-bus au marché, l’ambiance sera donc presque la même sauf qu’ici, chacun aura le destin de son volant entre ses main. Sans apprenti narcotique et passager belliqueux. Il est simplement à espérer que personne ne s’amuse à liquider sa vie au détour d’un achat dans ce marché où tout se liquide et qui n’est plus loin d’être liquidé lui-même, une fois les moments de fêtes passés. Mais voilà, le chauffeur peut enfin s’exclamer, «Mission, terminée!» Terminus, tout le monde descend.