Quand on saluait Adrien « Comment vas-tu ? », il répondait : « Je suis un homme heureux ! » Sa joie, non feinte, rendait votre question terne. Il est vrai qu’Adrien avait conquis son droit au bonheur. Et l’on suppose qu’avant le 31 janvier 1975, il était, lui aussi, dans le conventionnel « Ça va bien ! » Qu’advint-il qui le fit renoncer à la banalité ?
« Il était 18h, ce vendredi-là, lorsque des gendarmes se présentèrent à mon domicile à Cotonou… » Ils emmenèrent l’ancien Ministre. « Je les ai suivis au volant de ma propre voiture ». A la Brigade Territoriale de Gendarmerie de Cotonou, l’ingénieur agronome et premier Directeur de la Station de Recherches Agronomiques de NIAOULI se retrouva, pour sa « première nuit de prisonnier politique, à même le sol, en compagnie de beaucoup d’autres Cadres de l’Université et de différents autres services de l’Etat… Quarante-cinq jours plus tard, j’étais condamné à mort, sans jamais comparaître, et sans que qui que ce soit m’eût informé de quelque délit que ce soit, par un Tribunal anonyme et sans visage. » Car la révolution militaro-marxiste-léniniste maniait rime et raison arbitraires et brutales pour bannir toute intelligence critique. Point de réflexion ! Rien que répétition et soumission !
La peine de mort jamais commuée resta exécutoire pendant « DIX (sic) années de détention. » Une décennie d’intense angoisse. Adrien ‘‘fusillable’’ à tout moment, car « La veulerie, les mesquineries, la cupidité et les méchancetés des hommes trouvent un terreau fertile dans les personnes frappées par l’épreuve de la prison ». Pour tenir, comme avant la prison, Adrien pratiquait l’occultisme, disait moult incantations magiques. Mais un jour…
« Cela s’est passé un matin. Sans aucune préparation. Sans aucune planification. Une minute avant, je ne savais pas !… Je m’assieds sur le bord du lit. Je cherche des cartons dans mes affaires ; je les vide de leur contenu. Il m’a fallu 3 cartons ! J’entreprends de me délester de tout ce que je portais sur moi, ceinture, talismans, tout ce que j’avais sous mon oreiller, sous mon lit. Tout ce que j’utilisais, parfums, poudres, liquides, savons, etc. Plus tard, par les soins d’un ami, je les ferai partir discrètement de la prison et les ferai enfouillir dans un trou profond. » Et le narrateur, qui a signé en juin 2018 le livre intitulé « DANS UNE CELLULE DE PRISON J’AI VU LE SEIGNEUR », Adrien de conclure : « Le Christ m’envahit ! J’étais envahi par le Christ ! » Et l’on pense à Blaise Pascal : « L’an de grâce 1654.- Lundi 23 novembre. Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob, non des philosophes et des savants. Certitude. Certitude. Sentiment. Joie. Paix. Dieu de Jésus-Christ. » Extase de l’homme saisi par Divin.
« A ma libération » (sans précision de date, événement banal ?), le Prince d’Abomey (une Princesse de Nikki avait fait le voyage pour saluer en prison son ‘‘frère’’ inconnu dont on lui avait dit le malheur, et elle portait tenue de Princesse, et elle avait apporté des cadeaux dignes du Prince), le Prince d’Abomey s’engagea avec la société civile. Membre très actif de Tansparency International-Bénin, il en devint le Président dans le sillage de Mgr Isidore de Souza. Le peuple le baptisa « Ça ne passera pas », formule devenue son leitmotiv dans les media pour stigmatiser une fraude énorme au sommet de l’Etat. Il n’avait plus sa vie à sauver. Elle était sauvée. Adrien se fit donc pourfendeur intrépide de toute corruption.
Le dimanche 4 septembre 2022, Adrien se portait bien et portait bien ses 88 ans. A la messe le matin, a-t-il fait écho en son cœur à l’Ancêtre Syméon venu à la rencontre du Christ au seuil du Temple ? « Maintenant, Souverain Maître, tu peux, selon ta parole, laisser ton serviteur s’en aller en paix ; car mes yeux ont vu ton salut, que tu as préparé à la face de tous les peuples. » Au crépuscule du soir, Adrien se sentit appelé : « Entre dans la joie de ton maître. » Et Adrien Ahanhanzo-Glèlè s’en alla vers le Dieu de sa foi et de son espérance.