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Chronique

Syndrome de Jeanne d’Arc en Afrique et dans le monde

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S’il y avait un syndrome dit de Jeanne d’Arc (semblable à celui dit de Stockholm), il qualifierait le fait de se mettre à adorer ce qu’on a d’abord brûlé. En effet, sur ordre de l’Eglise, Jeanne fut condamnée et brûlée vive en 1431 comme hérétique et sorcière. Mais la même Jeanne, sur ordre de l’Eglise toujours, est béatifiée en 1909, canonisée en 1920. Sainte armure debout sur nos autels. Objet de notre vénération perpétuelle. Elle était à bannir. La voici modèle à suivre. La même métamorphose s’observe depuis peu en Afrique.
Soit Idi Amin Dada, Jean-Bedel Bokassa et Mobutu Sese Seko. Ces dictateurs emblématiques ont été chassés après avoir ruiné leur pays, affamé leur peuple, fait des cadavres par centaines. Or en 2018, à Kampala, Bangui et Kinshasa, leur souvenir éveille de la nostalgie. Oui, c’était dur mais mieux que maintenant, on avait quelque chose à se mettre sous la dent, etc. S’ils revenaient, ils seraient ovationnés, et peut-être remis au pouvoir par la liesse populaire qui aura oublié les opposants politiques ougandais jetés dans le fleuve infesté de crocodiles, les maigrichons écoliers centrafricains à qui la canne impériale creva les yeux pour qu’ils se tiennent tranquilles, la noire misère zaïroise sur laquelle le Maréchal bâtit pour soi et pour sa gloire la cité flamboyante de Gbadolite. Oublié tout cela.
En France, ‘‘Jérusalem du Nouveau-Testament’’ (sic), un élan patriotique a dicté la canonisation de celle qu’on avait brûlée. Dans nos pays africains, le retour en grâce de nos anciens dictateurs répond à notre basique besoin de manger. Sur la ruine et le deuil par eux semés, les choses ont empiré, nos conditions de survie sont plus minables qu’hier, la production ayant stagné et perdu en qualité alors que la reproduction a continué de croître. Un marqueur révélateur de la montée de notre misère est que, du temps de nos anciens dictateurs, nos jeunes gens n’allaient pas servir comme esclaves dans les champs de tomates d’Italie, en Calabre et dans les Pouilles, pour ceux du moins d’entre eux qui ne meurent pas en mer. Effarés par cette chute dans les abîmes, les Africains survivants, qui avaient vingt ans au temps de nos anciens dictateurs, voient volontiers en eux de braves dirigeants qui nous auront dévoilé un coin de paradis désormais introuvable. L’un de ses successeurs réhabilita celui qu’on croyait cannibale et dont l’un des exploits consista à rendre aveugles des enfants.
Mais c’est partout dans le monde que l’humanisme recule et que nous semblons fascinés par la Bête hier vilipendée. Aux Philippines et au Brésil, le pouvoir est remis à des partisans de la brutalité. Leurs semblables violents, quand ils ne sont pas encore au pouvoir, s’en rapprochent en Allemagne, Autriche, France et Italie. A la Maison-Blanche, un supporter du Ku-Klux-Klan et du port d’arme tous azimuts roule les mécaniques. A côté du Vatican voici les intégristes, plus catholiques que le Pape ; ils militent pour la canonisation de Pie XII, qui ne condamna pas la Shoah, ne voulait pas non plus voir les soldats noirs américains participer à la libération de Rome ; il voulait peut-être saluer la mémoire du chef du IIIème Reich, qui refusa de serrer la main à l’athlète américain Jess Owens, coupable d’être noir.
Où que l’on regarde aujourd’hui, notre monde se porte mal. Le virus se trouve peut-être logé dans le Mein Kampf du ci-devant chef du IIIème Reich : ‘‘L’intelligence du peuple est très réduite, et sa capacité à comprendre faible.’’ Ce dont le Führer profita. Or en Afrique, l’analphabétisme résiste, en Occident l’ignorance progresse. Les dirigeants en profitent donc pour substituer le mensonge à la vérité. Ainsi, les Africains sont pauvres et non appauvris, le malheur aujourd’hui en Europe et aux Etats-Unis, ce sont, sur les routes et sur les mers, les migrants sans force. Etc. Notre syndrome dit de Jeanne d’Arc, réhabilitation opportuniste de ce que nous avons naguère rejeté, se porte bien. Et ce n’est pas pour le progrès de l’homme.

Roger Gbégnonvi


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