Réuni pour évaluer l’an I de Talon, le jury balance entre certitude et doute, à l’instar du peuple qu’il habite, et dont il reflète forcément les contradictions et les embarras.
Tout à fait d’avis que les taximen renoncent à la pratique dangereuse de la surcharge systématique. L’embarras : cette fraude leur faisait gagner un peu mieux leur vie, et les passagers comprimés se montraient compréhensifs. Tout à fait d’avis que les primes soient désormais payées par chèque, pour en finir avec les tricheries du main-à-main, en finir avec séminaires et séminaristes fictifs dont s’engraissent ministres, directeurs et consorts. L’embarras : ces manières fautives permettaient aux fraudeurs de se répandre en générosités fort appréciées des parents et des amis. Tout à fait d’avis que disparaissent les médicaments en vrac et au soleil, nuisibles pour la santé. L’embarras : ces produits douteux dépannaient les pauvres qui ne peuvent aller en pharmacie. Etc., etc. Tout à fait d’accord pour les réformes. Mais pourquoi les mener de front ? Ici ou là, Talon pourrait ménager les gens, laisser tricher encore un peu, le temps que tous comprennent la nécessité de la vertu. L’embarras : le dentiste ménage-t-il la dent pourrie ?… Non, mais sa révision par exemple. En vedette dans son programme, d’accord ! Mais pourquoi tout de suite ? Obtenir le consensus en quelques jours ? Et puis, au moment où le mot de casse est le mot de passe pour dire le travail qu’il a entrepris de rendre nos cités salubres et civilisées, la révision, dans l’imaginaire collectif, est la casse de trop, la casse de notre Constitution, que nous avons défendue, bec et ongles, contre ses deux prédécesseurs. Oui, il en fait trop et trop vite ! Pas surprenant que ses détracteurs estiment déjà toute sa gouvernance catastrophique, discours qu’ils attestent en ne voyant pas autour de lui deux grands commis de l’Etat, PIK et ABT, mais en sombrant dans la vision hallucinée, autour de lui, d’un certain Olivier, d’un certain Johannes. Oui, aidé de ces deux-là, l’incorrigible capitaliste – oyez, bonnes gens ! -, s’enrichit et nous appauvrit !
Après avoir écouté tout le monde, le jury s’élève au-dessus des outrances, des courtes vues et des impatiences, pour énoncer le verdict le plus objectif possible sur l’œuvre en cours. Il sait que, dans tous les pays du monde, les réformes pour aller de l’avant sont d’abord mal accueillies, et que les Béninois ont payé en monnaie de singe Soglo et son effort de redressement du pays. Il sait que, de 1998 à 2005, Gerhard Schröder fut un Chancelier plutôt impopulaire : lui de gauche fit des réformes économiques drastiques qui auraient dû être le fait de la droite. Or ce sont ses réformes courageuses qui permettent aujourd’hui à l’Allemagne de caracoler en tête des pays de l’Union Européenne. En 1981, si Mitterrand avait soumis à référendum l’abolition de la peine de mort, les Français l’auraient désavoué. Le sachant, il fit voter la réforme par le Parlement où il avait le soutien de la majorité. Aujourd’hui, seule une petite minorité de Français accepterait que la France retourne à la barbarie de la peine de mort. S’il avait écouté les Français en 1962, de Gaulle n’aurait pas envisagé l’indépendance de l’Algérie car, à l’époque, pour l’ensemble de ses compatriotes, ‘‘l’Algérie Française’’ était gravée dans le marbre supposé ineffaçable de l’Histoire.
Or sont grands les hommes qui font progresser l’histoire par monts et par vaux, ‘‘par-delà le bien et le mal’’, car Nietzsche n’est pas moraliste, mais réaliste et tragique. Or Sont grands les peuples qui acceptent le tragique : vivre en se réformant. Faute de quoi ils meurent. Démocratie donc et non populisme. Et non statisme. Démocratie et progrès… Les échanges furent longs autour de l’an I de Talon. S’arrêter ! Pour que jamais le Bénin ne se réforme ? Ralentir ! Pourquoi, s’il est urgent de bonifier le Bénin ?… Fin de délibération. Le jury de l’an I décerne à Talon la mention : ‘‘Rythme acceptable. Poursuivre l’effort’’.
Par Roger Gbégnonvi