Lorsque Yayi devint Président de la République, Soglo, l’ancien Président de la République, n’a jamais accepté qu’on le fasse coïncider avec son jeune successeur. ‘‘Yayi, clone de Soglo, vous plaisantez !’’, répliquait-il, avec colère, à ceux qui se prêtaient au jeu. Et pourtant, mutatis mutandis, l’âge mis à part, ils avaient le même parcours professionnel.
A la vérité, Soglo avait raison de rejeter l’identification ressentie par lui comme une fusion incongrue. Lui Président avait coopté Yayi comme membre de sa cellule macroéconomique. Lui Président avait placé Yayi à la tête de la Banque ouest-africaine de Développement. Qu’on ne vienne donc pas lui parler de clonage, mais plutôt de filiation et de paternité. Yayi est son produit, son enfant. Soglo papa de Yayi, voilà la seule vérité ! Soglo ne l’a jamais dit ouvertement, mais c’est ainsi qu’il vit intimement son rapport à Yayi.
D’ailleurs, ce dernier le lui rend bien. Yayi ne s’est jamais émancipé de Soglo à qui il voue un respect craintif, un respect qui frise la vénération. Un jour, écrasé par le poids de sa fonction et submergé par la solitude du pouvoir, Yayi court tout droit au domicile de Soglo et lui dit : ‘‘Je vais mettre le pays à feu et à sang !’’ C’était sa façon de dire : ‘‘Papa, je n’en peux plus, aide-moi !’’. Prenant à la lettre l’expression orageuse du désespoir de l’enfant, Maman s’en ouvrit au Parlement. Les députés haussèrent les épaules. L’un d’eux lâcha à voix presque haute : ‘‘Le Prégo n’a pas ce qu’il faut de c… pour être le roi de la jungle. Si nous autres traînons ici nos c… c’est pour les dessous de table et pour les marchés publics. Il bouffe tout seul et nous abandonne les miettes. Constipé, il vient nous pomper l’air. Il devrait avoir honte de ne pas se taire.’’ Un autre jour, visiblement éprouvé, les traits tirés, Yayi lance, face aux caméras de la télé : ‘‘Je vais faire venir les miens !’’ Ricanement dans les buvettes : ‘‘Son propos est bizarre. Les siens sont les nôtres, et les nôtres sont les siens. Le boss est fatigué. Le Bénin énerve ses dirigeants pire que la France.’’ L’on était pourtant loin de la saison des Gilets hexagonaux enragés Jaunes. Au demeurant l’évocation des ‘‘miens’’ était la manière pour Yayi de dire : ‘‘Je ne me sens pas aimé.’’ De ne s’être pas émancipé de son mentor et de porter en soi un petit complexe de mal-aimé ont fait de Yayi pour Soglo un enfant attachant pour lequel il est, au fond de lui-même, au bord de la vénération.
Et la vénération se voit bien depuis que, à la suite des événements du 1er et du 2 mai 2019, Yayi, qui aime tant improviser les bains de foule pour se sentir aimé, se retrouve gardé au calme chez lui, protégé par la police. Non plus la solitude de la Marina, mais la solitude du monastère. Et voici Papa au chevet de l’enfant, cloîtré à son corps défendant. On l’imagine téléphonant jour et nuit pour s’informer de sa santé physique et morale. Un jour, n’en pouvant plus d’affection, il lui a rendu visite sans avoir eu à forcer les barrages. Ils se sont vus. Ils se sont parlé. Papa a sans doute apporté à l’enfant ce qu’il aime boire et manger. La deuxième fois, la police a dit non, et que ‘‘les ordres sont les ordres. M. le Président, vous ne passez pas’’. La police a osé. Soglo était très fâché, et on le comprend. Empêche-t-on Papa de voir son fiston ? Bien sûr que non ! Mais on aura tout vu au Bénin, même ça !
Bien sûr, notre psychanalyse au pied levé et non sur un divan étalé serait inachevée si elle n’embrassait pas Talon que l’on sent en embuscade. Lui Président s’est émancipé de Soglo. Lui Président n’affiche pas sa tendresse pour Yayi. Aussi n’est-il pas étonnant que le Père et le Fils se soient ligués contre le Saint-Esprit. Du rififi au Paradis. Mais ce n’est rien. Le Bénin en a vu d’autres. Un psychodrame, comme tant d’autres, que la Turbulente Trinité gèrera bientôt autour d’une bonne bouteille offerte par le Fils. Dégustation solennelle et grave. Silencieuse. Sous le regard interrogateur du Peuple Souverain.
Roger Gbégnonvi