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Smartphone et travers suicidaires des jeunes Béninois [Chronique Roger Gbégnonvi]

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Les Béninois dont il s’agit n’ont pas connu le téléphone filaire, petit appareil sur un meuble au salon ou au bureau, que leurs parents approchaient comme on approche l’oracle pour lui parler ou pour l’écouter délivrer un message. L’oracle et le consultant se vouaient un grand respect, l’oracle laissant le consultant respirer, aller et venir à sa guise, le consultant n’approchant l’oracle qu’en cas de nécessité. Respect et liberté sont essentiels dans toute relation. Les Béninois dont il s’agit sont nés avec, entre les mains, le téléphone portable, dont ils ont fait un vade-mecum obligé, voire obligatoire, juste le temps qu’on leur signifie que son temps est passé et que la mode est à plus performant appelé smartphone, lui aussi portable, doté de pouvoirs appelés applications, pouvoirs simplement divins : l’on a toute information en temps réel, l’on peut fabriquer ses propres informations, l’on a du cinéma non-stop, etc., etc. Le monde en main. Avec l’enthousiasme et la fougue propres à leur âge, jeunes gens et jeunes filles ont pris à bras-le-corps le divin smartphone et jeté par-dessus bord le trop humain portable, devenu soudain dérisoire, ringard, vieux-jeu.
Leurs amours avec le smartphone sont touchantes et exemplaires. Partout et toujours on les voit main dans la main, ou ton-pied-mon-pied, selon la tendre chanson dédiée à Juanita. En présence d’un hôte, devant une télévision allumée, en marchant sur le trottoir, etc., ils dialoguent et se sourient. Au « maquis », une main dans le plat et l’autre serrant l’être aimé, ils dialoguent et se sourient. Les verra-t-on ensemble au bal servir de partenaire de danse l’un pour l’autre ? Déjà en tout cas, ils font pâlir les amours selon le rite ancien accepté, pas théâtral et pas du tout « ton-pied-mon-pied, Juanita, pour l’éternité ! »
Mais si l’on en croit le poète Louis Aragon, dont les poèmes ont été chantés par des poètes-chansonniers, « Il n’y a pas d’amour heureux », même si « c’est notre amour à tous deux ». Or, dans le cas des amours ci-dessus, on ne saurait dire vraiment « à tous deux », vu qu’il n’y a pas de réciprocité et pas de sentiments partagés et que les ‘‘choses’’ sont du style maître-esclave. Elles peuvent donc se poursuivre « pour l’éternité » en maintenant le maître dans l’illusion du bonheur. Illusion, car les amours ci-dessus, parce qu’elles sont unilatérales et chloroformées, recèlent deux travers qui échappent aux jeunes accrocs au smartphone.
Le premier travers rappelle le syndrome moutons-de-Panurge. Ils se suivent sans réfléchir, quitte à aller se noyer ensemble dans la mer. On fait ce que tous font. On est à la page, pas en marge. Si bien que ce que l’on a appelé dialogue ressortit plutôt au bêlement collectif et silencieux de jeunes gens et jeunes filles en proie au côté esprit mauvais du smartphone. Quant aux sourires sans contrepartie, ils les rapprochent des gens à l’esprit dérangé qui sourient sans attendre de personne que leur sourire leur soit renvoyé. Le second travers découle du premier et pourrait s’appeler affadissement de l’intelligence : on tapote sur l’écran lumineux et on regarde, c’est tout. Choisir et analyser, on n’en a pas le temps, il y a tant de choses à regarder et à entendre, et l’on s’étale à la superficie de tout.
Nul ne s’en plaindrait s’il s’agissait de quinquagénaires, occupés à gérer vaille que vaille leurs vieux acquis. Mais il s’agit de jeunes gens et jeunes filles ayant la vie devant soi et que l’on dit avenir de la nation. Atteins de panurgisme et d’affadissement de l’intelligence pour cause de smartphone, que peuvent-ils apporter à leur nation en construction ? En sont-ils encore l’avenir ou le signe annoncé de son déclin assuré ? Smartphone et travers suicidaires ! Mais cette trouvaille est destinée à l’amélioration de la vie ! Pourquoi les jeunes s’en serviraient-ils de sorte qu’elle serve à la détérioration de la vie ? Poser la question, c’est prendre conscience du problème, et c’est aussi le premier pas vers la solution à lui apporter.

Roger GBÉGNONVI

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