Natif de l’Amérique latine où la condition de vie des peuples a fait le lit de la « Théologie de la Libération », le Pape François ne pouvait que se montrer sensible au sort de l’Afrique tenue en laisse, au sort des Africains à qui l’on donne encore et toujours la becquée. On s’est aperçu de cet intérêt du Pape à l’occasion de son entretien avec le journal Mundo Negro le 15 décembre 2022, entretien publié le 13 janvier 2023 en prélude à son voyage en République Démocratique du Congo et au Soudan du Sud du 31 janvier au 5 février (site Aleteia).
On retiendra de cet entretien trois assertions dont les deux premières paraissent nouvelles venant d’un Pape. 1- « L’idée que l’Afrique existe pour être exploitée est la chose la plus injuste qui soit, mais elle est dans l’inconscient collectif de nombreuses personnes, et il faut la changer. » 2.- « On leur donne l’indépendance économique à partir du sol ; mais on garde le sous-sol pour l’exploiter. » 3.- Et le Pape invite à s’intéresser à « l’intelligence, à la grandeur, l’art du peuple. Nous devons aller vers les gens, pas vers les idées. »
On imagine aisément qu’à l’appui de propos aussi fermes et engagés, les conseillers du Pape ont dû lui donner à lire des déclarations fortes de certains dirigeants du monde, dont, peut-être, les trois suivantes du côté Afrique-France, par ordre chronologique décroissant. 1.- A la retraite, portant le poids de l’âge, Jacques Chirac parle : « L’argent qui est dans notre porte-monnaie vient précisément de l’exploitation depuis des siècles de l’Afrique ; pas uniquement, mais beaucoup viennent de l’exploitation de l’Afrique. Alors il faut avoir un tout petit peu de bon sens – je ne dis pas de générosité – de bon sens, de justice, pour rendre aux Africains – je dirais – ce qu’on leur a pris. D’autant que c’est nécessaire si l’on veut éviter les pires convulsions ou des difficultés avec les conséquences politiques que cela comporte. » Après cinq années à la tête de la France, Nicolas Sarkozy, lors d’une interview à BFMTV : « La France ne peut pas permettre que ses anciennes colonies créent leur propre monnaie pour avoir le contrôle total sur leur Banque centrale. Si cela se produit, ça sera une catastrophe pour le Trésor public, qui pourra entraîner la France au rang de 20ème puissance économique mondiale. Pas question de laisser les colonies françaises d’Afrique avoir leur propre monnaie. » Le 27 janvier 1981, lors de l’émission « Une heure avec le Président de la République », Valérie Giscard d’Estaing parle : « Je m’occupe de politique africaine, c’est-à-dire des intérêts de la France en Afrique. »
Pour illustrer les ci-dessus propos, ses conseillers ont peut-être révélé au Pape François, entre autres, trois réalités. 1.- Les « accords secrets » (11 au total) qui ligotent les anciennes colonies françaises à la puissance colonisatrice. 2- Coltan, or, pétrole, phosphate, uranium, etc., extraits du sous-sol africain enrichissent d’autres peuples que les peuples africains. 3.- Une liste, non exhaustive, de dirigeants africains assassinés, et qui se trouvent être des dirigeants ayant montré une ambition d’indépendance réelle de leur pays : Sylvanus Olympio, Félix-Roland Moumié, Patrice Lumumba, Amilcar Cabral, Thomas Sankara, etc.
Le Pape François aurait pu, à la fin de l’interview à Mundo Negro, appeler les Africains à l’action en leur rappelant le mot de Charles Péguy : « Prier pour avoir la victoire et ne pas avoir envie de se battre, je dis que c’est mal élevé ! » Mais outre que « se battre » connote violence, c’eût été élever Péguy au rang de ‘‘Père de l’Eglise’’. Personne n’aurait suivi. De toute façon, il était suffisant que le Pape François se soit engagé pour l’Afrique au moment où, une fois de plus, il s’apprête à rendre visite aux Africains. Peut-être leur dira-t-il – nous redira-t-il – la Règle de saint Benoît, qui éclaire les moines bénédictins depuis le 16ème siècle et qui vaut pour tout chrétien conséquent : « Ora et labora. » Prie et travaille. L’oraison comme socle de l’action pour continuer la création du monde, et poursuivre la libération de tous hommes et femmes à la lumière sublime de l’élan initial de la « liberté des enfants de Dieu ».