Il y a dix ans, les 50 ans d’indépendance, âge de maturité, furent l’occasion pour l’Afrique d’un bilan décomplexé de sa situation : l’unique pôle de progrès vérifiable a été celui du ‘‘se reproduire’’. Croissance démographique entraînant avec elle paupérisation accrue, trafics illégaux, voire criminels, pour joindre les deux bouts, insécurité multipliée. Les 60-61 ans d’indépendance, âge de sagesse, permettent aux Africains de ne point se voiler la face, de se rendre compte qu’ils doivent repartir, non pas de zéro, mais de l’imbroglio où les jeta sans discernement en 1885 le Congrès de Berlin, imbroglio consacré par l’Organisation de l’Unité Africaine en 1963 en termes, sans effort ni sueur, d’intangibilité des frontières héritées de la colonisation. Décision de reproduire purement et simplement la vie d’avant ?
Imbroglio. Car le Congrès de Berlin ne se déroula pas à la lumière de la Méthode rigoureuse de Descartes ou de la Rigueur quasi janséniste de Kant. Autour de la table étaient réunis, non pas des philosophes, mais des politiques, mercantiles et patriotes, soucieux de l’avenir économique des pays d’Europe. Pour servir au mieux cet avenir, les congressistes se montrèrent hardis. Crayon au poing comme le serait un bistouri, ils taillèrent les cartes sans ménager les ethnies, dont ils ignoraient la réalité et la variété. Et ils ont désuni Sénégal et Gambie, réuni dans la même entité territoriale Abidjan et Korhogo, Angola et Cabinda, etc.
Qu’auraient dû faire les Africains à l’heure des indépendances distribuées (rarement conquises) à partir de 1960 ? Remettre en cause le maillage « magnifiquement absurde » (Robert Cornevin) bricolé par le Congrès de Berlin ? Pour cette nécessaire révolution copernicienne, il eût fallu grand courage, intense lucidité, volontariste action. Avec le recul, personne n’ose en accréditer les chefs africains à qui le colonisateur a remis les pays qu’il a feint de quitter. Trop contents de « prendre la place », sans effort et sans sueur, les chefs africains reproduisent, fort médiocrement, les us et coutumes de la colonisation. Ils les Reproduisirent entre les frontières bricolées par la colonisation. Ni imagination, ni initiative.
Les ethnies, pas plus consultées en 1963 qu’en 1885, renâclent, entrent en ébullition diverse et variée appelée terrorisme, djihadisme, islamisme, séparatisme, Azawad, Boko-Haram, etc. L’Erythrée se détache de l’Ethiopie, le Tigré tente de lui emboîter le pas, etc. Au prix de combien de milliers de morts á chaque fois ? Stratège de profession, le général de Gaulle avait entrevu l’auto-strangulation : « Le jour arrivera où les peuples décolonisés ne se supporteront plus eux-mêmes. » Mais faut-il que les Africains décolonisés correspondent nécessairement à la funeste prédiction ? Ou le temps est-il venu pour la volontariste action ?
Il est urgent en tout cas que les Africains décolonisés s’arcboutent à Thomas Sankara pour « Oser inventer l’avenir », leur avenir. Sinon il en sera d’eux comme « en ces jours qui précédèrent le déluge, on mangeait et on buvait, on prenait femme et mari, jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche, et les gens ne se doutèrent de rien jusqu’á l’arrivée du déluge, qui les emporta tous » (Math., 24/37-39). Or voici venir le déluge qui emportera les Africains décolonisés, inconscients et insouciants : selon l’ONU, en 2050, l’Afrique comptera 1,8 milliard d’habitants, et l’Europe moins de 650 millions. Pour endiguer cette africaine et incontrôlée démographie, qu’elle ne peut supporter – mais qui veut la supporter ? – l’Europe pourrait déclencher la « solution finale » enrobée d’ores et déjà dans les OGM, le mondialisme, le transhumanisme, etc. Futur proche que les Africains, rigolards, ignorent. Et ils seront eux-mêmes instrument efficace de leur effacement de la planète ou de leur zombification sur la planète à force de reproduire, de se reproduire, sans penser à produire. Mais produire quoi et comment ? Se poser la question est déjà un avantage et une avancée.