L’accueillir et ne pas le chasser au premier désagrément. L’indigène est en effet riche de son territoire, de son pays, de son Etat, de son ethnie, bref, riche de tout. Il est chez lui, en sécurité. A l’opposé, provisoirement ou définitivement, l’étranger est pauvre de tout ce qui précède, y compris de son ethnie car, on n’est d’une ethnie qu’entouré par elle. Loin de chez lui, il est seul au milieu des gens, dans une insécurité diffuse. Tout peut lui arriver, car « l’étranger est plus étrange que l’indigène », et les deux paraissent si étranges l’un à l’autre.
Le tableau ci-dessus, tranché et contrasté, ne se vérifie toutefois que chez les peuples à haute intensité d’industrialisation quand, sous couvert de compétitivité, la surproduction a pris d’assaut tous les secteurs de production et fait advenir l’ère du « superflu, chose très nécessaire ». Alors chacun a toujours quelque chose à entasser pour ne renoncer à rien. Car tout renoncement délibéré serait un crime de lèse-divinité Consommation. C’est donc sans penser à mal que l’industrialisé voit en l’étranger un intrus, venu limiter les vaillants citoyens dans leur ahanement vers l’avoir, car ils n’auront pas ce que l’étranger prendra.
Or, aujourd’hui encore, chez les peuples d’éleveurs et d’agriculteurs, l’étranger est percu pour ce qu’il est provisoirement ou définitivement : errant, sans feu ni lieu, fragilisé, compagnon/compagne en humanité, à protéger. Mutatis mutandis, ces peuples bucoliques sont encore et toujours au chapitre 18 de la Genèse. Hormis la part du merveilleux, l’on voit Abraham aux petits soins pour trois hommes alentour de sa tente. Ils ne sont pas de ce « petit canton de l’univers ». Voici de l’eau pour enlever la poussière de leurs pieds. Voici le gite et le couvert. Ce sont des étrangers ; Abraham ne saurait les laisser passer et partir sans leur offrir l’hospitalité. Et il est anecdotique que les trois hommes se révèlent porteurs d’une bonne nouvelle pour Abraham. En effet, portant et apportant avec lui l’autre versant du monde et de l’humanité, l’étranger est nécessairement porteur d’un complément, porteur d’un « supplément d’âme ». Du moins, est-ce ainsi qu’il apparaît aujourd’hui chez de nombreux peuples du sud Bénin, étant entendu que, malgré les évolutions, le vocabulaire quotidien continue de refléter la vérité profonde de l’être. Et donc l’étranger est encore et toujours JONON, qu’on peut traduire par ‘‘porteur de graisse’’, c’est-à-dire précurseur du meilleur à venir. Que ne ferait-on pas pour offrir un bon accueil à un tel messager !
Hélas ! Industrialisation-baobab ou arbuste ajoutée à croissance démographique non maîtrisée, et voici l’étranger perçu désormais à l’envers du concept qu’en ont Abraham et la langue fondamentale des Fon au sud du Bénin. L’étranger n’est plus le bienvenu puisqu’il vient arracher le pain de la bouche de l’indigène, prendre part à une accumulation à laquelle il n’a pas contribué. Il est méchant, il doit retourner chez lui. Voilà pourquoi si un indigène commet un crime odieux, il est puni avec la dernière rigueur. Le même crime odieux commis par un étranger est mille fois odieux. Il est puni aussi avec la dernière rigueur, mais les vaillants citoyens saisissent cette ‘‘heureuse’’ occasion pour exiger de l’Etat le renvoi chez eux de tous les étrangers puisque, on vient d’en avoir la preuve, ce sont des barbares !
Des barbares qu’on n’aurait pas connus puisqu’ils se seraient d’abord exterminés à domicile sans qu’aucun n’ait pu traverser les frontières de son petit canton de l’univers. Mais pour les indigènes adeptes du tout-avoir, il devient juste et bon de chasser les étrangers pour le crime de l’un d’eux. Or, il n’est pas de peuple criminel en soi ou criminel en devenir. Sur leur petit canton de l’univers, tous les hommes respirent le même air, sont guidés par les mêmes luminaires sous le même firmament gouvernant pour tous les mêmes océans nourriciers. L’univers ouvert et offert dit à tout indigène qu’il doit accueillir tout étranger.