Docteur ingénieur en génie civil, expert en matériaux et structures, gestionnaire de projet, économiste de la construction et expert judiciaire près des cours d’appel de Cotonou et d’Abomey, Dr Yémalin Daniel Agossou est un fervent défenseur des matériaux locaux pour la construction durable. Enseignant-chercheur à l’École Nationale Supérieure des Travaux Publics (ENSTP) de l’Université Nationale des Sciences, Technologies, Ingénieries et Mathématiques (UNSTIM) d’Abomey et maître-assistant du CAMES, il s’est distingué par ses travaux sur le géobéton de la latérite, une innovation aux multiples atouts. Il revient dans cet entretien sur cette solution prometteuse.
Lameteo: Bonjour Monsieur. Qui est le Dr Agossou ?
Dr Daniel Agossou : Dr Agossou Daniel, c’est d’abord un docteur ingénieur en génie civil, qui effectue des recherches sur les matériaux de construction, les structures, et les ouvrages de génie civil. Il est également expert près des tribunaux, notamment la Cour d’appel de Cotonou et d’Abomey, dans le cadre des expertises immobilières en génie civil. Par ailleurs, il est maître assistant des universités affiliées au CAMES.
Pourriez-vous nous expliquer ce qu’est le géobéton de la latérite et en quoi il se distingue du béton conventionnel que nous connaissons ?
Le géobéton de la latérite est un béton fabriqué à partir de matériaux de proximité. Le béton classique que nous connaissons est un mélange de proportions bien définies de sable, de gravier, de ciment et d’eau, ce qui lui confère une couleur généralement grise. Toutefois, nous avons constaté que les gisements de ces matériaux commencent à s’épuiser. De plus, la distance nécessaire pour s’approvisionner en gravier roulé, par exemple, est importante : il faut aller jusqu’à Lokossa pour en trouver dans les environs de Cotonou, Porto-Novo, et d’autres villes.
Quant au sable, même s’il est disponible en version lagunaire ou fluviale, il reste difficilement accessible à tous les citoyens. Cela nous amène à explorer les matériaux de proximité pour les petites constructions, notamment les habitations courantes. Ainsi est née l’idée d’utiliser la latérite, un matériau auparavant réservé aux infrastructures routières, pour produire du béton. Ce matériau se compose à la fois de sable et de grains, appelés nodules latériques. Nous nous sommes donc demandés si, utilisé brut, il ne pourrait pas servir à fabriquer du béton.
Cette idée s’inspire des constructions en terre battue réalisées autrefois par nos parents dans les villages. Ces constructions utilisaient de la terre seule ou mélangée à des grains, donnant lieu à des techniques telles que le pisé ou le bauge. De là est née l’idée de développer un béton à base de latérite, tout en tenant compte des expériences déjà existantes.
Quelles sont les propriétés techniques et la durabilité du géobéton de la latérite ?
Les propriétés techniques se déclinent en plusieurs catégories : mécaniques, physiques et chimiques. Dans notre domaine, nous nous intéressons particulièrement à ces trois aspects pour évaluer un matériau.
Du point de vue physique , il s’agit de caractériser le matériau pour comprendre sa composition : présence de grains, de sable, et de particules fines comme l’argile ou les limons. Une fois cette étape réalisée, on procède à une caractérisation chimique , pour déterminer les constituants et les interactions potentielles avec le ciment. En effet, si la composition chimique du matériau empêche ou inhibe les réactions chimiques avec le ciment, le béton ne pourra pas durcir correctement, et ses caractéristiques mécaniques seront insuffisantes.
Enfin, les propriétés mécaniques constituent le point crucial. C’est là qu’intervient la formulation du béton : déterminer de façon optimale les proportions de ses constituants pour obtenir une résistance mécanique acceptable. Formuler un béton structuré, c’est garantir qu’il peut supporter des charges dans le cadre d’une construction durable.
Des essais ont été menés pour établir les meilleures formulations. Certaines ont donné de bons résultats en termes de résistance mécanique, tandis que d’autres ont été moins satisfaisants. En explorant la littérature, nous avons découvert que ce sujet est étudié depuis longtemps. Par exemple, en 1972, Raju, en Inde, expérimenté avec la latérite brute mélangée à du ciment, mais les résistances mécaniques obtenues étaient peu acceptables. Par la suite, des chercheurs comme Balogun, au Nigeria, ont approfondi ces travaux.
Alors, eux, ils ont continué là-dessus, mais Balogun a poursuivi en examinant comment on pourrait utiliser le gravier de cette latérite dans la composition du béton. On peut désormais utiliser du sable provenant de n’importe où pour former ce béton. Il a donc effectué des substitutions partielles jusqu’à obtenir les résistances requises, mais ce n’est plus du géobéton de latérite quant à nous, ce que nous proposons, c’est un béton qui utilise à la fois le sable de latérite et. les nodules de latérite. Cela revient à utiliser la latérite sous sa forme naturelle.
En ce qui concerne la disponibilité de ces matériaux, est-ce qu’au Bénin, nous en avons assez ?
Ce matériau est disponible en abondance sur toute l’étendue du territoire. Malheureusement, je ne pourrais pas vous en fournir une démonstration physique, mais le Bénin dispose d’un gisement considérable de ce matériau, qui était auparavant principalement utilisé pour la construction des routes en terre.
Parlons du coût, car pour le citoyen lambda qui veut construire, la première question qu’il se pose est le coût. Combien doit-il investir ? Avec cette solution, quel est le coût pour lui ?
Le coût n’est pas un aspect que nous devons aborder à ce stade. À cette étape, ce qui nous intéresse, c’est d’abord de savoir si le matériau peut faire le travail. Si la réponse est oui, alors nous cherchons à analyser comment réduire le coût. Ce qui fait que les matériaux sont chers, c’est principalement l’aspect logistique, notamment le transport. Si ce sont des matériaux naturels, le coût du transport entre en jeu. L’extraction de ces matériaux a également un coût, tout comme leur transport avant même qu’ils ne soient utilisés par le citoyen lambda. Imaginez que, lorsque vous achetez votre parcelle, le sol est déjà ce type de matériau. Vous n’aurez alors à payer que pour le ciment. Vous n’aurez pas à vous soucier du transport. C’est donc un matériau de proximité que nous cherchons à promouvoir, ce que nous appelons généralement les matériaux locaux.
Mais l’avantage, c’est quoi ? Il faut avant tout comprendre les avantages de ces matériaux. Prenez l’exemple de la maçonnerie ordinaire que nous utilisons. En période de forte chaleur, lorsque l’intensité de l’ensoleillement est élevée, nous sommes contraints d’utiliser des ventilateurs ou la climatisation, etc. Mais nos parents au village ne connaissent ni ventilateurs, ni climatisation. Lorsque vous allez dans un village, l’eau qui vous est servie dans une construction en terre semble comme si elle venait d’un réfrigérateur, elle est fraîche. Cela signifie que ce sont des matériaux qui maintiennent une température ambiante agréable à l’intérieur de la maison. Si nous parvenons à démontrer qu’il est possible de réaliser de grandes constructions avec ce matériau, le coût que vous allez investir dans la construction sera négligeable par rapport à ce que vous paierez pour l’exploitation. Car, aujourd’hui, nous construisons sans penser à l’exploitation à long terme. L’exploitation, c’est la climatisation, l’utilisation des ventilateurs, etc., et tout cela a un coût que nous ne prenons pas en compte. En revanche, en utilisant ces matériaux, le coût d’exploitation sera considérablement réduit. L’économie réalisée à long terme sera très importante par rapport à l’argument de proximité qui pourrait inciter à ne pas utiliser ces matériaux.
Il faut également considérer les propriétés thermiques de ces matériaux, qui sont très intéressantes et nous encouragent à les utiliser. Aujourd’hui, nous utilisons beaucoup les BTC (briques en terre comprimée) pour la construction d’infrastructures. Ces briques sont produites à partir de la terre disponible en abondance sur le plateau de Calavi. Vous creusez, vous ajoutez du ciment, et vous pouvez commencer à construire. Au lieu d’aller chercher du sable lagunaire ou fluvial, tout cela peut être remplacé par la production de briques à partir de ces matériaux locaux. Et, lorsque vous comparez la quantité de briques produites à partir de la terre stabilisée ou comprimée, vous constatez qu’elle est bien plus importante que celle des briques ordinaires. Cela signifie qu’il y a déjà une économie faite à ce niveau. Et cette économie continue à l’exploitation, car vous aurez un bâtiment dont la performance thermique répondra à vos besoins.
Existe-t-il déjà des essais de construction au Bénin à partir de cette solution que vous proposez ?
Il y en a plein. Il y en a plein, mais qui ne sont pas régis par des lois scientifiques. Vous allez dans les régions d’Allada, puisque eux, ils sont loin de Lokossa. Qu’est-ce qu’ils font ? Ils vont dans les carrières chercher les nodules de latérite comme ça. Ils mélangent les choses, ils construisent leur maison. Ils s’en foutent. Mais, lorsque nous, nous répartissons l’aspect scientifique, c’est pour amener à une utilisation rationnelle. Parce qu’eux, ils ne savent pas peut-être les proportions qu’il faut utiliser pour avoir, peut-être, ils utilisent ça, ils gaspillent ça, peut-être, ils utilisent ça mal, et ainsi de suite. Mais, lorsque la science rentre dans, c’est qu’on est sûr de rationaliser l’exploitation. C’est un peu ça, optimiser l’exploitation, optimiser la résistance, etc. Sinon, c’est très utilisé par nos populations. Ce qui est intéressant dedans aussi, lorsque vous le faites, c’est que l ‘aspect du décoffrage après, c’est un décoffrage très, très net. Si vous faites un décoffrage brut, c’est un béton qui est très esthétique.
Voilà, justement, parlons de l’esthétique, quelles sont les possibilités ?
Et lorsque vous faites ça, vous n’avez même plus besoin d’aller chercher de la peinture pour mettre sur votre ouvrage. Ça ressemble à du ciment ocre. Vous savez ce qu’on appelle le ciment ocre ? C’est un ciment qui a une couleur rouge ; on met de l’ocre, on met ça dans le ciment et ça donne un aspect rouge au vin à ce ciment. Et lorsque vous utilisez ça, dans votre maison, vous vous éloignez de l’aspect peinture, etc. Donc voilà encore un autre aspect d’utilisation de ce béton. La couleur rouge au vin ou bien la couleur ocre que ça va offrir. C’est en quelque sorte l’ordinaire. Et pour utiliser ce béton dans la construction, lorsque vous allez utiliser des éléments de décoffrage bruts et des planches en bois qui vont dessiner les rayures de sillage, etc., vous aurez de l’esthétique qui va sortir de l’ordinaire. Donc voilà un peu les avantages aussi de son utilisation.
Est-ce qu’on peut l’utiliser pour d’autres travaux en dehors des maisons domestiques que nous faisons, c’est-à-dire les grands ouvrages ?
Alors, vous m’amenez à rentrer dans le domaine beaucoup plus encore technique. Un béton, au-delà de la résistance en compression, qu’est-ce que nous recherchons ? Son module d’élasticité, qui est le paramètre qui lui permet de résister à tout type de chargement, à tout type de sollicitation. Alors, le béton de latérite de la première expérimentation a offert un module assez faible, mais une bonne résistance. Je ne donnerai pas les valeurs, mais aujourd’hui, nous sommes allés déjà, d’une manière donnée, à trouver un module qui est autour de pratiquement 97 % du module du béton ordinaire, pas 100 %. 97 % du module du béton ordinaire qui est autour de 20 000 MPa. Donc voilà un peu ce que nous pouvons dire. Alors, si éventuellement on peut atteindre les mêmes modules, ça veut dire quoi ? Ça peut faire les mêmes choses. Peu importe l’angle de l’ouvrage, on peut l’utiliser.
Quels conseils donneriez-vous aux acteurs, aux décideurs et entrepreneurs pour contribuer activement à la construction durable en intégrant ces matériaux ?
Comme conseil, je ne parlerai pas de conseil d’abord. Nous allons, dès que toutes les caractéristiques seront approuvées, inviter les gens à nous aider à rendre la production beaucoup plus industrielle et mettre ce béton à disposition de tous. Parce que, nous sommes des scientifiques, nous avons élaboré des formules mais il reste la vulgarisation. La vulgarisation, on va laisser ça à vous, les acteurs de la communication, à ceux qui sont les décideurs politiques et autres, pour faire la promotion de ce matériau, vulgariser ce matériel jusqu’au niveau des différents couches de base. Les éléments d’appréciation seront mis à disposition pour la vulgarisation. C’est ce que nous pouvons dire à l’instant, puisque ce n’est pas encore vulgarisé de façon scientifique, mais c’est connu de façon empirique, les caractéristiques, que c’est du bon béton, les gens utilisent ça de façon empirique, mais scientifiquement, ce n’est pas encore vraiment approuvé.
Votre mot de la fin.
Monsieur le journaliste, je vous remercie pour cette opportunité que vous nous offrez, de partager le fruit de nos recherches avec la communauté, avec vos lecteurs, avec tout l’auditoire que vous pouvez avoir en face de vous. Et c’est un plaisir pour nous d’exposer ces résultats qui continuent de faire leur chemin, afin que le secteur de la construction soit encore plus modernisé, plus rénové, afin que nous puissions nous éloigner des matériaux conventionnels et utiliser beaucoup plus des matériaux de proximité parce que l’utilisation de ces matériaux de proximité réduit beaucoup le coût de la construction.