14 février 2025. Sous un soleil accablant, un jeune garçon à la silhouette frêle arpente les ruelles de Fifadji, l’un des quartiers du 9e arrondissement de Cotonou, un petit bâton en main. Suspendu à un fil, un hameçon attend patiemment sa proie. Son objectif ? Attraper des margouillats qu’il vendra ensuite à des Hounnon et tradithérapeutes pour 200 francs CFA l’unité.
À seulement 11 ans, Kevin est en classe de CM2 dans une école de Cotonou. Mais après les cours, son quotidien est bien loin de celui de ses camarades. Plutôt que de s’attarder sur ses devoirs ou de jouer au football, il se lance dans une chasse peu ordinaire : celle des margouillats, ces petits reptiles qui peuplent les murs des maisons, habitées ou abandonnées.
Un savoir-faire acquis dès le CE1
Kevin a commencé cette activité il y a quelques années, alors qu’il n’était qu’au CE1 (Cour élémentaire première année à l’école primaire au Bénin). « C’est un grand frère qui m’a appris à les attraper. Au début, c’était juste pour m’amuser, puis j’ai compris que ça pouvait rapporter de l’argent », raconte-t-il, concentré, les yeux scrutant le mur d’une clôture fissurée. Pour attirer sa proie, il utilise un appât inhabituel : des menthes religieuses. Selon lui, les margouillats sont particulièrement amis de ces insectes. Une fois le margouillat mordu, il tire d’un coup sec. Le jeu de patience se transforme alors en une source de revenus non négligeable.
Ce petit business, qu’il mène après l’école et les week-ends, lui permet de contribuer aux finances familiales. En moyenne, Kevin affirme gagner environ 6000 francs CFA par jour. Une somme conséquente pour un enfant de son âge. « Je donne une partie à ma mère et le reste, je l’utilise pour mes affaires personnelles », confie-t-il avec une pointe de fierté.
Une affaire qui fait des émules
Le jeune garçon n’est pas le seul à s’adonner à cette pêche urbaine. Sur le trottoir d’un garage du quartier, des apprentis mécaniciens s’amusent à observer ses techniques et à parier sur ses prises. « Lui, il est trop fort, mais il n’est pas le seul. D’autres petits font ça aussi, et même des adolescents », lance l’un d’eux. Une chasse discrète, mais apparemment répandue.

Mais pourquoi cette chasse ?
L’intérêt pour les margouillats ne relève pas du simple divertissement. Ces reptiles sont prisés par certains Hounnon (prêtres vodun) et tradithérapeutes qui les utilisent dans diverses préparations. « Ils entrent dans la composition de plusieurs remèdes et rituels de protection », explique un Hounnon, qui préfère garder l’anonymat. Selon lui, certains guérisseurs utilisent ces reptiles pour soigner des affections ou pour des rites. « Avant, je me déplaçais pour aller vers les acheteurs. Mais aujourd’hui, certains viennent pour acheter mes margouillats. Ils me connaissent maintenant, et je n’ai plus besoin de chercher de nouveaux clients. Ils viennent directement chez ma mère », confie Kevin, en toute sérénité.
Un avenir déjà tracé ?
Avec un tel business, le risque est grand que l’école passe au second plan. « Il est intelligent et débrouillard, mais il ne faut pas que ça prenne le pas sur ses études », s’inquiète un riverain. Mais malgré ses gains, le garçon ne compte pas abandonner l’école. « Je veux réussir mes études, mais en attendant, il faut bien se débrouiller », dit-il. Chaque matin, il se rend en classe comme tous les enfants de son âge. Mais une fois la journée scolaire terminée, il échange son stylo contre son hameçon et arpente les rues de Fifadji, à l’affût des margouillats qui lui assurent son petit commerce. Pour lui, chaque margouillat attrapé est une victoire, un petit pas vers une autonomie financière qu’il s’est forgée à la force de son ingéniosité.