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Chronique Roger Gbégnonvi | Thomas Sankara était un homme

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Lors d’une interview en 1985 avec un journaliste suisse, Thomas Sankara a résumé son programme politique en termes de « Oser inventer l’avenir ». L’histoire aura retenu qu’il inventa l’avenir en s’efforçant de transfigurer le présent. Mettant lui-même la main à l’ouvrage, il entreprit avec son peuple les sept travaux d’Hercule : construire des routes, des ponts et même quelques mètres de voie ferrée, à mains parfois nues ; par des techniques traditionnelles améliorées et par des techniques modernes, recueillir et conserver l’eau tombée du ciel ; utiliser les produits textiles locaux pour procurer travail et revenus aux tisserands ; convaincre les Ouagalais de consommer des haricots verts pour que n’aille pas à la poubelle le fruit de la sueur des paysans, etc. Thomas Sankara voulait qu’on se retroussât les manches et non qu’on fît la manche. Il avait à cœur la dignité de l’Africain. En visite officielle d’Etat à Paris, il fallut une longue négociation pour qu’il supportât de descendre de l’avion sans François Mitterrand au bas de la passerelle pour l’accueillir. Dignité de l’Africain.
Que dirait aujourd’hui l’homme Thomas Sankara s’il nous voyait aux prises avec nos revendications misérables. On déboule dans un musée sur les bords de la Seine, on accapare une des sculptures censées avoir appartenu à « nos ancêtres », on la serre fortement contre soi, à la police appelée au secours pour empêcher le vol on déroule un discours chaudement patriotique, on s’imagine en héros, ils nous ont pillés à échelle Ali-Baba, nous voici venus les piller à échelle Petit-Poucet. Pitoyable. Triste. Or il y aurait tant de joie à ce que nous participions au reboisement dans nos pays pour que nos sculpteurs aient toujours du bon bois pour sculpter en abondance et renouveler l’esthétique de leurs créations. Inventer l’avenir aujourd’hui pour forcer le respect au lieu de foncer en marche arrière pour s’aimer larmoyant sur les grandes misères de notre passé. Après l’indicible de Minneapolis, l’esprit Thomas Sankara veut que nous honorions la mémoire de George Floyd par des actes-avenir.
Et nous allons, c’est promis, déboulonner Faidherbe à Saint-Louis du Sénégal. Effacer cette trace de l’histoire. Avons-nous le droit de démolir au lieu de bâtir ? Ils ont saccagé nos vies, nous voici venus saccager leurs statues. Minables représailles. Aveu d’impuissance, qui ne peut que nécroser le mental des enfants et de la jeunesse d’Afrique. Plutôt tresser une histoire de lumière au bout de cette histoire de ténèbres. Non loin de Faidherbe, Léopold Sedar Senghor, serrant amoureusement sur son cœur un cahier d’écolier et un porte-plume pour annoncer l’Afrique familiarisée avec l’écriture, base de l’abstraction et de la science. Et non loin de Senghor, El Hadj Omar Tall, fier de son cheval impérial, si on le tient pour un héros national ; et même Béhanzin, fier de sa pipe royale, si on le tient pour un héros transnational. Ces lieux de mémoire englobant Faidherbe à Saint-Louis plairaient à Thomas Sankara dont le projet dynamique et proactif ne peut s’accommoder de nos rétropédalages.
Pourquoi ne nous apercevons-nous pas de nos infirmités ? Pas tant de notre retard que de notre sur-place bavard, revendicatif, vindicatif, improductif.  Depuis les abominations de l’esclavage et de la colonisation, qui ont connu leurs ignobles collabos africains, nous estimons que le monde marchant et conquérant nous doit tout et que nous ne devons rien à l’humanité en apport nouveau et significatif. A l’instar du peuple juif en exil « au bord des fleuves de Babylone », nous sommes là, assis, et nous pleurons. Et notre nouveau mode d’être au monde, inspiré par quelque malin génie pour nous livrer à la risée des dieux de l’enfer, est le pillage-larcin des musées extra-muros et la démolition stérile des statues intra-muros. Détruire et non construire. Est-ce cela notre destin ? Thomas Sankara serait triste s’il nous y prenait. Thomas Sankara était un homme. Un vrai. Sa devise : Dignité de l’Africain.

Roger GBÉGNONVI

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