Dans le sud du Bénin, les briques rouges pressées, communément appelées “briques pressions”, révolutionnent la construction. Chrétien céleste de confession, rencontre avec Jean Houndako, briquetier passionné et engagé, qui partage son parcours, ses défis et ses liens avec le Gou, dieu des métaux, sur un chantier de construction de maison à Hêvié, dans la commune d’Abomey-Calavi.
Dans les zones périphériques des grandes villes du sud du Bénin, les briques rouges pressées gagnent du terrain dans la construction. Fabriquées à base de terre battue et de ciment, ces briques écologiques et solides, issues d’un processus simple mais innovant, s’imposent comme un matériau de choix. Jeune homme trapu, la trentaine déjà atteint, Jean est un habitué des travaux physiques. Rompu à la tâche, l”homme investit sa force dans le maniement d’une moule qui pèse en moyenne 100 kilos. Briquetier expérimenté, il partage son expertise et les coulisses de ce métier exigeant.
Un savoir-faire transmis sans diplôme
Formé en 2013 après une année d’apprentissage, Jean s’est rapidement passionné pour le métier de briquetier. Depuis plus d’une décennie, il œuvre dans ce domaine avec détermination. Toutefois, son apprentissage n’a pas été sanctionné par un diplôme, contrairement à d’autres professions pratiques au Bénin.
« Il y a longtemps, mon patron délivrait des diplômes aux apprentis qu’il formait. Mais aujourd’hui, avec la prolifération des fabricants qui en ont fait un simple gagne-pain, au point où certains produisent des briques de mauvaise qualité, les patrons ne délivrent plus de parchemins », explique Jean.
Gou, dieu des métaux
En tant que chrétien de l’Église du christianisme céleste, Jean n’a pas suivi l’initiation au dieu “Gou”, recommandée pour ceux qui travaillent les métaux selon la tradition des peuples d’Adja-Tado. “Gou”, dans le panthéon vodun, est le maître des métaux, vénéré par les forgerons, cultivateurs et guerriers pour sa protection et sa bénédiction.
Malgré tout, Jean reste attaché à ces pratiques et a assisté aux rituels d’initiation de ses pairs. « Ceux qui l’ont fait ont apporté du sodabi (une boisson locale), des sodas, des noix de cola acuminata et un peu d’argent », confie-t-il, décrivant les offrandes nécessaires pour une prière de consécration.
Les “briques pressions” tirent leur nom de leur méthode de fabrication : un pressage immédiat qui permet leur utilisation quasi instantanée après production. “Contrairement aux briques classiques, celles-ci sont prêtes à l’emploi dès leur fabrication, pour peu que le dosage soit correct”, explique Jean Houndako. En utilisant des matériaux locaux comme la terre battue, l’eau et le ciment, cette méthode contribue à la durabilité et au respect de l’environnement.
La moule utilisée, fabriquée à Bohicon, est un outil central dans ce processus. Coûtant environ 300 000 FCFA à l’achat, elle est souvent louée à 2 000 FCFA par jour pour répondre à la demande croissante. Cependant, les briquetiers doivent parfois parcourir de longues distances pour en obtenir une, en raison de leur disponibilité limitée.
Un processus méticuleux de jeu de rôle
Pour remplir sa mission sur les chantiers où ses services sont sollicités, Jean s’associe avec un ou deux collaborateurs dans un jeu de rôle. « Quand nous sommes trois à faire le travail, l’un d’entre nous charge le mélange dans la moule préalablement montée et les deux autres font le pressage et le rangement des briques fabriquées. C’est ce même mécanisme qui se déroule du premier paquet de ciments ouvert jusqu’au 15e ou au 20e paquet ». Il leur arrive de produire jusqu’à 1 000 voire 1 500 briques pressions par jour, car dit-il, « 50 briques en moyenne, sont tirées d’un paquet de ciment. D’autres peuvent aller jusqu’à 60 ou 65 briques par paquet de ciment, selon les exigences du propriétaire ». Ces excédents, le spécialiste les déconseille vivement en raison de ses désavantages à savoir, la nécessité de plusieurs jours de séchage ou l’effritement des briques lors de la construction.
La rémunération
À la fin de la journée et après 10 heures de labeur (de 8h à 18h), les travailleurs sont payés au comptant, suivant le nombre de paquets de ciment utilisés ou du nombre de briques fabriquées. Les briquetiers gagnent en moyenne 1 100 FCFA pour 50 briques fabriquées à partir d’un sac de ciment. Cette somme perçue est souvent répartie entre les différents acteurs. « Lorsqu’à trois nous gagnons 20 000 FCFA par jour, nous dégageons 4 000 FCFA dont 2 000 FCFA pour le transport de la moule et la même somme pour la location. Les 16 000 FCFA restants sont repartis équitablement, à raison de 5 000 FCFA par tête et les 1 000 FCFA restants sont pour la restauration », a-t-il révélé.
Un métier aux multiples défis
En termes de difficultés, Jean évoque une dépense excessive d’énergie physique pouvant exclure des personnes n’ayant pas une certaine carrure physique. « Les personnes qui ne sont pas habitués aux travaux agricoles énergiques par exemple, ne peuvent pas faire carrière dans ce métier. Toutes les étapes du processus de fabrication sont exigeantes en matière d’énergie physique, ce qui contraint beaucoup de personnes à abandonner après leurs deux premières expériences », a-t-il clarifié. À titre comparatif, un briquetier dépense plus d’énergie qu’une main-d’œuvre en maçonnerie.
Au niveau de la location de la moule également, la tâche n’est pas facile pour les briquetiers. En raison de l’ouverture de plusieurs chantiers de construction suivant le modèle de la terre battue dans la zone de Hêvié où Jean travaille le plus, le spécialiste évoque une grande sollicitation des moules. Pour espérer l’avoir à ses jours de travail, il effectue une réservation auprès de ses locataires la veille.
Parfois, ce n’est pas gagné d’avance pour lui. Pour des raisons de sécurité, les propriétaires de moules sont exigeants sur l’identité de leurs locataires de moules. Houndako explique que « pour se rendre chez le propriétaire, on se muni de sa carte d’identité valide ou de son numéro de téléphone et de son adresse ainsi que d’une somme de garantie à verser avant de louer la moule ». Malgré toutes ces précautions, ce sont souvent des briquetiers de confiance du propriétaire qui bénéficient de cette location. Parfois, Jean et ses pairs vont à Porto-Novo, à Abomey et dans le département du Couffo pour exercer leur métier.
Malgré ces défis, Jean a su diversifier ses activités, devenant également agriculteur et creuseur de puits. « Un homme doit avoir plusieurs sources de revenus », dira-t-il. Ce polyvalent travailleur finance l’éducation de ses trois enfants grâce à son dur labeur, preuve de sa résilience et de son ingéniosité.
Dans un secteur en plein essor, Jean Houndako incarne l’exemple d’un artisan résilient, déterminé à bâtir un avenir meilleur, brique par brique.