Dans le tome I de ses Mosaïques d’histoire béninoise (1998), Félix Iroko consacre un chapitre aux amazones (pp. 187-192) dont il fait remonter l’histoire à la Grèce antique. « Le cas africain le plus connu et le plus célèbre d’amazonisme est celui du royaume du Danxomè. L’on pouvait devenir amazone selon trois modes principaux de recrutement : la répression, le volontariat et le tirage au sort. Corps d’élite, elles étaient réparties en plusieurs régiments ayant leurs propres uniformes. » Félix Iroko atteste que, face à elles, ennemies à combattre, il y eut « les simple guerrières » qui « ne sauraient être qualifiées d’amazones compte tenu de leur action isolée et individuelle hors de toute institution politico-militaire… Les exemples les plus connus sont ceux du pays ijé, entre Pobè et Kétu : plus d’une femme ijé d’Ishòu, d’Ishaakpo, etc. prenaient spontanément les armes en même temps que les hommes pour les aider à repousser les assaillants. » Et « Il est souhaitable, écrit-il, que ces guerrières soient mieux connues par des études ultérieures qui leur seraient exclusivement consacrées ». Elles diront sans doute que des femmes prirent spontanément les armes avec Kaba et Bio Guéra.
En attendant ces études, il sied de considérer comme un grand MERCI national à l’amazonisme béninois l’Esplanade des Amazones qui s’en va être révélée/dévoilée à Cotonou. Hommage singulier du Bénin à ses combattantes de la liberté, amazones et « simples guerrières » confondues et, même, simples « ménagères ». Car il faut réinventer le propos de Félix Iroko : « Procréatrice par nature, la femme devient ainsi destructrice de vie une fois transformée en amazone. » Non, pas tout à fait. Elle devient plutôt recréatrice de liberté, sachant qu’homme et femme n’existent qu’en leur liberté. Jeanne d’Arc a pris les armes pour rendre la liberté aux siens. Si, pour la liberté, elle a été obligée d’abattre l’ennemi, ce fut par ricochet, ce fut à son corps défendant, c’était pour la liberté. Et il faut transfigurer le propos du professeur Félix Iroko pour dire que la femme béninoise, en sa nature intrinsèque de femme, est permanente amazone, permanente recréatrice de liberté.

Recréatrice de liberté, elle le fut durant la longue nuit de 1933 à 2004. L’on date de 1933 le début du règne ténébreux du Coutumier du Dahomey, dont l’article 127, entre autres, instaure une nuit sans étoile : « La femme n’a aucun pouvoir juridique… Elle fait partie des biens de l’homme et de son héritage. » Un demi-siècle de nuit noire, pendant laquelle la femme béninoise a su convaincre ses filles, devenues professionnelles de la loi et du droit, de faire la lumière. Et elles firent la lumière en 2004 au travers du Code des personnes et de la famille, qu’on leur doit, et dont l’article 155, entre autres, a mis le Bénin sur orbite de respect mutuel et de dignité au sein des couples : « Les époux assurent ensemble la direction morale et matérielle de la famille. Ils pourvoient à l’éducation des enfants et préparent leur avenir. » Nonobstant, ledit article, pour diverses raisons, incombe souvent à la femme seule, « procréatrice par nature » et recréatrice de liberté par nécessité.
Recréatrice de liberté, elle le fut singulièrement une nuit de mars 1975. Voici Adrien Ahanhanzo Glèlè, la voix d’une dizaine de compagnons d’infortune : « J’étais condamné à mort, sans jamais comparaître, et sans que qui que ce soit m’eût informé de quelque délit que ce soit, par un Tribunal anonyme et sans visage. » Et la dictature comptait faire feu sur eux, « pour faire un exemple ». Alors la Béninoise fit face en décidant de se montrer en sa tenue d’Eve dans les rues de la cité. La forfaiture prit peur, elle recula devant l’amazone.
Amazone et Béninoise recréatrice de liberté, voici, pour t’honorer, l’Esplanade des Amazones. Hymne entonné face à la mer. Et le ressac portera l’écho jusqu’à l’infini. Pendant une éternité longue. L’écho de toi, Amazone et Béninoise recréatrice de liberté.