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Si Jésus était né au sud du Sahara [Chronique Roger Gbégnonvi]

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Ce soir-là, alors qu’il ramenait au bercail son troupeau de chèvres, l’attention de Sadu fut retenue par une tente basse bricolée à la hâte en branches de palme fraîchement coupées. Il y risqua un œil et aperçut un couple autour d’un nouveau-né couché sur plusieurs branches superposées lui servant de natte. Le placenta et le cordon ombilical étaient rangés dans un coin de la tente. Suffoqué et en colère, Sadu interrogea : « Que faites-vous là ? » On lui expliqua qu’on n’était pas du pays. On le traversait pour aller ailleurs lorsque la jeune primipare entra inopinément en travail. Alors on s’est débrouillés. « Et vous soumettez le nouveau-né à ce traitement sauvage ! Vous auriez dû demander de l’aide. »
Sadu oublia son cheptel et courut à la maison. Il exposa l’affaire à sa troisième épouse et à la mère d’icelle venue rendre visite à sa fille récemment entrée en mariage. Il les pria d’aller voir dans leur panier à linge, d’en retirer au moins trois pagnes solides et propres et de le suivre. Arrivés sur les lieux de l’insolite, la belle-mère de Sadu recueillit placenta et cordon ombilical dans un pagne, entoura d’un autre pagne les épaules de la mère primipare et la prit par la main. La jeune épousée enserra le nouveau-né dans le plus grand pagne et le tint avec tendresse contre son cœur. Sadu prit en charge l’homme qui titubait de fatigue. Le ciel était étoilé. Et ils s’en allèrent dans la nuit comme les pèlerins d’un destin nouveau.
A destination, on fit les prières et ablutions d’usage et on enterra placenta et cordon ombilical à l’ombre du grand arbre tutélaire. On installa le couple et l’enfant dans une case en torchis où il y avait de la place parce qu’elle ne servait qu’à protéger de la pluie quelque réserve de bois pour la cuisine. On coucha l’enfant sous une vieille moustiquaire. Dès le lendemain cependant, Sadu alla acheter la première lampe-tempête de sa vie afin d’éviter à l’enfant la fumée permanente dégagée par « la lampe au beurre clair ». Quelques jours plus tard, il prit langue avec les trois notables qui lui achetaient souvent moult chèvres pour festoyer à grand renfort de musique et de femmes venues de la ville. Ils se pavanaient dans le village à dos de chameau. D’où provenait leur fortune supposée grande eu égard à l’absolue non-fortune des villageois ? Pourquoi vivaient-ils retirés dans le village et non pas à découvert dans la ville d’où ils faisaient venir les belles femmes ? Il importe peu. Généreux, ils avaient accepté d’aider Sadu en offrant à ses hôtes une case spacieuse dotée de fenêtres pour la circulation de l’air, et deux moustiquaires en parfait état. L’un d’eux, sous le charme, remit à la mère pour l’enfant une petite bague en or serti de diamant. « Vous la lui passerez au doigt quand il sera plus grand. Votre enfant est trop mignon. Il ressemble à un prince. »
Assez vite, l’homme, qui s’y connaissait en menuiserie, entreprit de passer le temps en se rendant les matins à l’atelier du frère de Sadu pour fabriquer avec lui des tabourets en bois de teck qu’il revendait pour gagner sa vie. Lorsque les forces lui revinrent et qu’elle n’allaitait pas l’enfant, la jeune primipare était à la cuisine avec la jeune épousée pour l’aider à la cuisson des galettes qu’elle revendait les jours de marché. Les hôtes avaient ainsi intégré le paysage du village. Tous les connaissaient. Sous le charme comme l’un des trois notables, les grands enfants allaient observer par la fenêtre le petit enfant dormant sur sa natte.
Voilà pourquoi ce fut grande tristesse quand le couple décida de poursuivre sa route. On aurait tant aimé les retenir. Au lieu de quoi l’on fit justice à la tradition qui enseigne que tout hôte de passage est la promesse d’un bonheur à venir. Ce fut donc à l’unanimité que les vieux du village baptisèrent l’enfant du nom de Fleurdedieu. Et le couple s’en alla avec Fleurdedieu, sous le regard admiratif de tous, pendant que les enfants chantaient leur sempiternelle comptine servant à psalmodier soit la bienvenue soit l’adieu. Et c’était joli.

Roger GBÉGNONVI

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