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Tragédie de Dassa et souffrance chrétienne [Chronique Roger Gbégnonvi]

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Deux catholiques engagés. La soixantaine chacun. L’un professeur de philosophie, l’autre juriste, habitué des cabinets ministériels. Quelques heures après la tragédie de Dassa le dimanche 29 janvier 2023, ils ont, sans s’être concertés, exprimé sur la toile leur ressenti.

Le philosophe pleure un collègue, un ami, un frère en Christ, consumé en essayant d’arracher aux flammes des compagnons de voyage. L’ami trouve un sens. « Notre foi chrétienne catholique enseigne que tout court au bien de qui Dieu aime. Elle nous apprend alors à rendre grâce de tout, en tout et partout. » On le sent proche du chrétien angoissé que fut, toute sa vie, le philosophe Kierkegaard : « Je crois parce que c’est absurde. » Le juriste ne pleure personne en particulier, mais l’intolérable du dimanche 29 janvier l’a désorienté, et il veut y trouver un sens. « J’y vois une dimension spirituelle. Le drame de Dassa à quelques mètres du site marial du pèlerinage catholique m’amène à m’interroger […] Il va falloir, pour arrêter la saignée lugubre et funeste, que les dignitaires religieux se donnent la main afin que le Ministre de l’Intérieur autorise des célébrations d’exorcismes profonds sur toute l’étendue du territoire national. » Déroute de la foi chrétienne ? La Vierge Marie indifférente ? L’Etat doit-il congédier la laïcité et donner droit de cité au syncrétisme, à la croyance tous azimuts ?

Plus de vingt voyageurs consumés à l’intérieur d’un bus en feu. Cruauté de l’absurde. Le philosophe et le juriste, et pas qu’eux, sont dans la nuit du sens. Et quoi comprendre face à l’enfer ardent faisant rage sur des millions d’écrans de smartphone ? Stupeur. Hébétude… Il semble cependant que l’essentiel soit dans l’émotion et le spectacle ou le spectaculaire, quand l’émotionnel a submergé le rationnel. Car, si l’on ose le rationnel malgré l’horreur, le 29 janvier 2023 tombe sous le sens du tragique normal de l’existence humaine, dont voici deux exemples.

Dans la nuit du 14 au 15 avril 1912, la joie est à son comble à bord du Titanic pour son premier voyage. Il percute un iceberg. Un trou dans la coque. Il coule en trois heures de temps. Entre 1490 et 1520 passagers. Tous noyés. Le 21 décembre 1988, au-dessus du village écossais de Lockerbie, un attentat terroriste fait exploser en vol un Boeing avec à son bord 259 passagers. Tous consumés. Au sol, les débris du Boeing tuent onze Ecossais préparant noël. Iceberg et explosif garantissent le rationnel. Le défilé des divinités garantit le tout émotionnel.

Dans les deux cas, l’information a été accueillie au sol sans épouvante parce que, en haute mer et en plein ciel, point de spectateurs extérieurs à la tragédie. Le spectaculaire et le tout émotionnel, c’est quand il y a des spectateurs. Sinon le rationnel veille et explique la tragédie, sans toutefois lui enlever son caractère absurde et révoltant. L’absurde qui révolte fait partie intégrante du quotidien de l’homme existant. Il constitue la trame du roman d’Albert Camus, La peste (une allégorie des deux guerres mondiales), qui s’abattit un beau matin sur la paisible ville d’Oran. Après des milliers de morts enterrés sans tralala, l’épidémie est vaincue. Mais le docteur Rieux, dont la part à la victoire fut déterminante, reste amer et songeur. « Car il savait ce que cette foule en joie ignorait, […] que le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais […] et que, peut-être, le jour viendrait où, pour le malheur et l’enseignement des hommes, la peste réveillerait ses rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse. »

Avant de dire l’éternel retour du malheur, Camus avait dit ce qui est pour lui l’horizon indépassable face au tragique imparable de l’existence humaine : « Faire quelque chose pour le bonheur. » ‘‘Pour le malheur’’ est odieux, quand même le malheur est constant du fait de l’homme et pas que de la nature. Aussi l’impératif d’acter le bonheur ne s’adresse-t-il pas à la foule, mais à l’individu, sachant, au sein de la foule. Le christianisme, lui aussi, s’adresse d’abord à l’individu. Et si, au lieu de l’éternel « nous, pauvres pécheurs », « Faire quelque chose pour le bonheur », contre le malheur et la souffrance, était l’horizon du message chrétien ?

Roger GBÉGNONVI

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