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Chronique

Renaissance de l’Afrique: Rejeter toute amitié avec la bête

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Vive protestation d’un homme de bien après que son ami a blackboulé sans retenue les dieux d’Afrique. Il désapprouve mais s’interroge : ‘‘En l’absence d’écriture, pouvions-nous développer une théologie ???’’ Une théologie pour édifier Dieu de façon qu’il élève l’homme et point ne l’abaisse. Dont acte. Ainsi, à l’en croire, nos dieux nabots et sales ne sont que la résultante de notre non possession de ce que Michel Foucault appelle à juste raison le ‘‘privilège absolu de l’écriture’’. Dont acte encore. Mais alors, comment expliquer notre propension à nous acoquiner avec la bête, à cultiver proximité et complicité avec l’animal ?

Après avoir risqué sa vie entre ciel et terre et dans la solitude du désert où il atterrit en catastrophe, Antoine de Saint-Exupéry, pionnier de l’aéropostale, confie à son ami : ‘‘Ce que j’ai fait, je te le jure, jamais aucune bête ne l’aurait fait.’’ Car, en général, l’homme met son point d’honneur à se démarquer de l’animal à l’intelligence maigrichonne, à la conscience à peine existante, à la générosité absente, sauf dans le cas du chien, du cheval et du bébé phoque, animaux chez qui la force brute et la destruction de l’existant pour raison de survie ne semblent pas la règle absolue. Mais il ne suffit pas de ces trois ‘‘hirondelles’’ pour que les hommes s’ouvrent des boulevards d’entente cordiale avec le règne animal.
Or on observe chez nous une tendance marquée à ériger l’animal en modèle. Nos équipes de football se veulent le terrain favori de cette fréquentation animalière. Au Bénin, à côté des Ecureuils pour leur agilité, il y a Les Caïmans du Zou, Les Dragons de l’Ouémé, Les Panthères de Djougou, Les Requins de l’Atlantique, etc. Hors du Bénin, il y a Les Aigles du Mali, Les Eperviers du Togo, Les Eléphants de la Côte d’Ivoire, Les Lions du Sénégal, Les Lions Indomptables du Cameroun, etc. Nous savons ces animaux dépourvus de tout savoir-faire footballistique. Si néanmoins nous nous identifions à eux, c’est pour capter leur force brute afin de gagner, quitte à gagner malgré notre incompétence et en dépit de la justice.
Et cette non-justice, nous l’assumons crânement. Dans le Bénin méridional, lorsque, par mille et une manigances, par mille et une complicités, un individu, homme ou femme, se sort victorieux d’une affaire particulièrement louche, d’une injustice flagrante, il est adulé, acclamé par la foule hurlante qui lui décerne, en braillant, le litre élogieux de Kanlinsú = Epoux-de-la-bête. Car la bête ne se pare pas de vertu morale, mais de force brutale, forte de quoi elle fonce et abat et saccage. Voilà notre plus fort désir énoncé par le proverbe : ‘‘Il n’y a que du bon à dominer l’autre.’’ Un jour, le roi d’Abomey interroge son Conseil restreint sur ce qu’il y a de plus important et de plus excitant dans toute la création. Sa vérité arrêta le long ennui des avis fades : ‘‘La seule chose qui vaille ici-bas, c’est de dominer l’autre.’’ Le roi d’Abomey n’étant pas le roi Salomon qui préféra la sagesse à tout, pourquoi n’irait-il pas chercher la domination totale chez les fauves qui l’ont à l’état de force pure et dure ?
Une chose est d’élever les animaux, de les domestiquer, si nécessaire, pour qu’ils nous rendent service ; autre chose est de nous identifier à eux pour accaparer leur force brute afin de nous en servir pour malmener autour de nous les choses, et surtout, les gens. La deuxième option est inhumaine. Elle est peut-être celle qui nous rend au Bénin si cruels même envers les cadavres dans les morgues, cadavres sans défense que nous faisons souffrir pour qu’ils nous rapportent le plus d’argent possible avant d’aller échouer dans un trou.
Le temps est à écouter Aimé Césaire : ‘‘Une civilisation qui choisit de fermer les yeux sur ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte.’’ Du rejet des dieux pantins au rejet de toute amitié avec la bête, l’écriture peut s’avérer longue. Nous devons donc commencer maintenant, pour commencer vraiment la Renaissance de l’Afrique.

Roger Gbégnonvi


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