Dire que le système scolaire béninois est aujourd’hui au creux de la vague, c’est reconnaître qu’il fut à son sommet et peut donc s’y retrouver. La tâche de l’aider à remonter sera d’autant plus aisée que l’on se rendra claires les trois raisons à la base de sa disgrâce.
Il y a une centaine d’années, l’école au Dahomey apparaissait comme pourvoyeuse d’emplois. Illusion. Elle ne crée pas d’emploi. Mais les Dahoméens étaient peu nombreux, et la fonction publique et privée avait besoin de tous ceux qui savaient lire et écrire, peu ou prou. Ainsi, des parents qui n’avaient jamais mis les pieds à l’école, s’empressaient-ils d’y envoyer leurs enfants pour leur éviter plus tard la difficulté du travail du paysan, de l’artisan, de l’ouvrier. A l’école publique, la scolarisation était gratuite et même accompagnée de bonus. L’Etat aidait les écoles privées qui, en retour, n’exigeaient pas grand-chose des parents. Pour endiguer une certaine pénurie de fonctionnaires, le jeune Etat indépendant alla jusqu’à faire une situation salariale aux « huit-vingtième », c’est-à-dire jeunes gens et jeunes filles qui n’avaient pas le BEPC pour avoir échoué aux épreuves orales. Vue donc sous l’angle qu’elle crée des emplois offrant un salaire garanti à vie, l’école était adulée, elle avait tous les suffrages. Hélas, deux des trois raisons supra n’ont pas résisté au temps : la population ne cesse de croître ; la scolarisation a désormais un coût qui ne cesse de grimper.
Quant à l’illusion que l’école crée des emplois, il n’en reste plus rien, et l’on a même connu une cruelle sanction de ladite illusion quand, sur ordre de la Banque mondiale et du FMI, l’Etat en faillite a mis fin inopinément au contrat à vie de milliers de ses fonctionnaires sachant très bien lire et écrire. Mort définitive de la fausse équation école = emploi assuré. Non, l’école ne crée pas d’emploi. Après sept ans en faculté, le jeune médecin doit souvent créer son cabinet de soins. Un cadre formé pour enseigner l’anglais s’est fait expert dans la culture de l’ananas. Il existe un brillant agrégé d’histoire qui n’est pas devenu fonctionnaire. Certains lettrés qui lorgnent l’argent massif, rapide et sans travail, vont vers le narcotrafic ou la cybercriminalité. L’école ne crée pas d’emploi. Et pas non plus chômage ni délinquance. Elle crée responsabilité et capacité à… Aujourd’hui, si vous portez des dizaines d’années de scolarité et êtes bardé de diplômes, vous devez vous prendre en charge, non sur des voies obliques interdites par la morale et la loi, mais sur les voies du devoir et du savoir créateur.
L’Ecole ne crée pas d’emploi. Mais il y a ce que Michel Foucault appelle, à juste raison, « un privilège absolu de l’écriture ». Ce privilège conduit à des mondes lointains et nouveaux, l’esprit y gagne en ouverture, l’intelligence en affinement ; il libère et décuple les énergies créatrices qui sommeillent en tout homme. Or ce privilège ne s’acquiert nulle part ailleurs qu’à l’école. Le séjour à l’école ne saurait donc être libre, en tout cas pas du tout facultatif. Sans le séjour à l’école, le génie en l’homme peut ne jamais s’épanouir. C’est l’école qui fait acquérir à l’homme la faculté de créer des emplois susceptibles de devenir sources d’emplois nouveaux. Les peuples avancés, et qui avancent vers la lune et vers Mars, l’ont compris. Les peuples d’Afrique, notamment ceux du Bénin, n’avanceront pas sans passer par l’espace école, espace d’acquisition du « privilège absolu de l’écriture ».
Et le bonheur total, c’est quand les Etats africains auront compris que l’esprit ouvert et l’intelligence affinée, c’est le citoyen abordant avec assurance « les avenues de l’avenir » d’abord dans la langue entendue quand il faisait corps avec sa mère. L’UNESCO l’atteste, et assure que, à trois ans, comme en se jouant, l’enfant acquiert le « privilège absolu » dans sa langue maternelle. La remontée en crédibilité de l’Ecole au Bénin et partout en Afrique passe par la langue de Maman. Ecrite. Lue. Instrument premier de tous les développements.