Le 30 mai 2021, lors d’une solennelle conférence de presse, les notables de la commune de Bantê, en des termes sévères, ont condamné « les événements malheureux enregistrés à Bantê les 5, 6, 7 et 9 avril 2021 [pour] empêcher le processus électoral en cours et déstabiliser le régime du pays ». Ils ont dit « troubles et violences jamais enregistrés nulle part ailleurs ». Ils ont dit « catastrophe ». Des mots à la hauteur de leur amertume, de leur colère et de leur désapprobation. Puis ils en sont venus à désigner nommément « la cause, le commanditaire », un des leurs, ancien ministre de la République : « Il en est le meneur principal…, il est la plaie. » Et tombe la sentence : « Il faut qu’ [il] change ! »
Cette sentence est, sans doute, le maître-mot de cette conférence : changement. Car « Dieu ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive ! » Quel péché a commis l’enfant de Bantê mis à l’index par les siens ? Accusé de mauvaise gestion par l’Etat, il aura chargé sa barque en fomentant, de l’extérieur, une insurrection contre l’Etat. « Meneur principal » pour combien de morts, de blessés, d’handicapés à vie, d’habitations brûlées, de parents et amis ‘‘portés disparus’’, parce que absents parmi les morts et parmi les survivants ! Bref, quel enfer c’eût été si l’Etat n’avait pas pris les mesures idoines pour protéger du cauchemar annoncé le sommeil des Béninois ! Se produisant, ce cauchemar eût été une infiniment triste première dans l’histoire du Dahomey-Bénin depuis 1960.
Voilà pourquoi le « il faut qu’il change » des notables de Bantê résonne comme dans une cathédrale médiévale, dont l’acoustique naturelle permet que les exhortations du prédicateur s’entendent de tous partout dans le saint édifice sans les artifices modernes. Au demeurant, point n’est besoin d’amplificateur pour comprendre qu’aucun citoyen n’a le droit de réserver à son pays le sort du Titanic pour le salut de soi et celui de quelques amis.
Et donc, « il faut qu’il change ». Il a fallu à l’ancien ministre du courage pour prendre les chemins difficiles de l’exil. Il lui a fallu de l’intelligence pour concevoir et financer la construction du char exterminateur sur lequel il comptait monter pour revenir d’exil. Titanesque machiavélisme. La requête de changement à lui adressée par les siens, l’enfant de Bantê l’accueille et la traduit en appel à patriotisme extraordinaire, au travers duquel son pays, une fois encore, étonnera le monde. S’estimant victimes de la Rupture, lui et d’autres se sont exilés de leur plein gré. On présume qu’ils se sont entraidés pour construire le char luciférien. Fort à présent de la requête des siens, l’enfant de Bantê rassemble ses amis d’exil et, joignant courage à intelligence, il les convainc de revenir de leur plein gré au Bénin sur un char de lumière et de concorde. Ainsi revenus, ils se remettent, de leur plein gré, entre les mains de la justice. Leurs avocats plaidant, ils obtiennent l’Habeas Corpus et bénéficient d’un nouveau jugement. Ils commencent à purger leurs peines dans l’espoir que celui qui en a le pouvoir prononce un allègement. Ou, carrément, une amnistie. Pouvoir dont il n’userait qu’après procès tenu et jugement rendu, car il doit faire preuve de compassion envers les voleurs de mouton et voleuses de tomates, qui purgent toujours jusqu’au bout leurs peines.
L’exil n’est pas un royaume. Mais l’on ne peut retourner dans le royaume du chez-soi au milieu d’une vallée de larmes creusée par soi. Le mal appelle pire que le mal, et l’on aura tenté d’ajouter le crime de sang au crime d’argent. Il sied donc que l’exhortation des notables de Bantê ait un large écho : dans l’exercice des fonctions politiques les plus élevées et les plus humbles, le Béninois doit s’efforcer de refuser toute tentation pour s’élever au-dessus de tout soupçon. Oui, il faut qu’il change, et nous avec lui. Pour qu’avance le Bénin.
Merci aux notables de Bantê.