Ce qui est dit du Ramadan (30 jours) doit l’être du Carême (40 jours) et du Yom Kippour (25 heures), sur la base de la foi : ‘‘Moïse, Jésus, Mahomet : les trois ont jeûné dans le désert’’. Lors donc que les croyants béninois jeûnent, ils sont reliés à Moïse en qui Jésus et Mahomet se sont reconnus en jeûnant. Le jeûne, lieu d’abord de purification, mais aussi lien d’unité et de fraternité. Sans communauté adepte du judaïsme, le Bénin n’a pas hérité du Yom Kippour, mais il a hérité des deux autres grâce aux Saintes Ecritures, lui analphabète par définition. Grâce à l’écriture, il a fait siens Ramadan et Carême pour être digne du Seigneur sur l’axe vertical de son existence. Sur l’axe horizontal, il lui reste à s’emparer de l’écriture pour ce qu’elle est : d’abord lien de fraternisation entre tous hommes par-delà les temps et les espaces, ensuite arme de libération et, paradoxalement, arme de libération de ce que les Saintes Ecritures pourraient avoir d’obsolète ici et maintenant pour l’homme soumis aux aléas du temps et de l’espace. Deux croyants, musulman et catholique, nous ont laissé un bel exemple de la grande liberté des enfants de Dieu-Allah sur l’axe horizontal de leur existence.
‘‘En Tunisie, le président Bourguiba a plaidé en faveur d’un allègement des exigences du Ramadan, arguant que la lutte contre le sous-développement est un djihad dispensant légalement ses ‘‘combattants’’ de jeûner’’. Au Dahomey, en 1946-1947, en pleine famine, Mgr Louis Parisot, lors d’une tournée pastorale qui l’amena dans le village de Sohonmê près de Comé, prêchait à ses ouailles un carême strict. Gêné au regard du mal-vivre de ses protégés, le catéchiste-interprète Henri Vignondé demanda discrètement au prélat de l’autoriser à dire aux fidèles d’oublier le carême à cause de la dureté des temps et de manger trois fois par jour s’ils le peuvent. Le pasteur acquiesça. Il aimait ses frères chrétiens.
Car les Saintes Ecritures et le jeûne sont faits pour l’homme et non l’homme pour eux. Bourguiba et Vignondé l’ont bien compris, comme ils ont compris que si ‘‘la gloire de Dieu c’est l’homme vivant à genoux’’, il est indispensable que l’homme vive d’abord et vive heureux dans une cité heureuse. En 2019 le Bénin n’est pas en butte à la famine ni en lutte pour une quelconque urgence. Carême et Ramadan peuvent donc y être observés tels que hérités de Jésus et de Mahomet. Cependant le Ramadan de ce mois de mai tombe à pic dans un Bénin qui, sans être une cité malheureuse, vient de frôler le malheur par notre faute, alors même que le premier mot de notre devise républicaine est FRATERNITE. A cause de la profonde fraternité qui les fédère, chrétiens et musulmans doivent porter la République Fraternelle quand ils jeûnent. Ce moment annuel de purification les relie à Moïse à l’origine du Carême et du Ramadan. Chrétiens et musulmans frères en Moïse. Et ce serait un gâchis sans pareil si, en conscience et en acte, ils ne mettent pas leur unité profonde au service de l’unité du Bénin lorsqu’ils regardent vers Moïse. Et quel bonheur pour le Bénin si leur unité profonde irradie vers le corps social de la République Fraternelle du Bénin pour valider la FRATERNITE qui, déclinée en fraternisation consciente et active, fait heureuses les cités !
‘‘Il y a une affaire en train dans l’Univers.’’ Teilhard de Chardin a raison. L’affaire est celle de l’Afrique : elle doit ré-enchanter les traditions d’élévation héritées afin de faire entendre au monde sa voix spécifique, offrir au monde son empreinte spécifique. L’affaire est celle du Bénin : il doit, à présent, raviver sa jeune tradition républicaine de non-violence, d’écoute et de dialogue, dialogue politique jamais facile mais toujours bénéfique pour la république. L’affaire est celle de Bourguiba et de Vignondé : à présent bris d’étoile, poussière de lumière à l’Orient, sourciers de pensées solaires et d’actes de noblesse, ils s’adressent à nous en ce mois de mai 2019 pour un Ramadan de Fraternisation des Béninois.
Roger Gbégnonvi