Une rumeur. Mais si c’est une information, elle est passée, plus filante que l’étoile du même nom, pour aller sombrer dans le silence des media grands et petits, pas candidats à être accusés de vendre du rêve en bleu. Car en insistant pour des retrouvailles à l’Elysée au sujet des trésors royaux d’Abomey, le Chef de l’Etat, pragmatique, semblait seulement dire : « Il y en a plus que 26. Les autres aussi nous intéressent. Nous reviendrons les chercher. » Il n’avait pas envisagé que, remués au tréfonds d’eux-mêmes par l’imprévu du geste, de la geste Talon-Macron, 156 Français, descendants d’esclaves noirs, décideraient de retourner sur la terre des ancêtres dans le sillage des 26 œuvres et entameraient, déjà, les démarches administratives idoines en direction de l’Etat béninois. Rêve ou fantasme ou rumeur ?
Mais il importe peu que l’information entraperçue soit trop belle pour être vraie puisque, dit l’adage, « ce qui de la maison est parti à la maison retournera », puisque le désir « d’un retour au pays natal » habite depuis toujours l’ADN meurtri des descendants de ceux qu’on a poussés à coups de lanière vers « La Porte du non-Retour », puisque, face à la porte de Caïn, le 18 janvier 1998, derrière le prof Honorat Aguessy pour la première « Marche et Cérémonie du Repentir », des Béninois de toute provenance et de toute obédience ont prié : « Et vous, sœurs et frères…,/ Vous descendants de ceux-là qui furent vendus à l’encan / Vous tous dispersés et disséminés dans le monde entier / Accédez à notre demande de pardon / Et laissez couler toutes les eaux amères et fétides / Pardonnez / Et partageons ensemble en ce jour consacré au Repentir / Partageons l’eau de la Réconciliation » (Samson Dossoumon).
Et voici qu’adviendraient au Dahomey-Bénin, au travers de 156 femmes et hommes précurseurs, les retrouvailles toujours déjà désirées. 156 femmes et hommes précédés, annoncés par la famille Jah, revenue seule et délibérément depuis un quart de siècle et domiciliée au lieudit Ganhatin non loin d’Ahozon, dans la banlieue de Ouidah.
Les retrouvailles n’effacent pas, n’effaceront pas « La Route de l’Esclave », domaine aimé de Caïn, qui aima très fort les trains à bestiaux emplis de Juifs promis à l’extermination, qui aima très fort les marais rwandais emplis de Tutsis promis à l’extermination. Ô Abel, partout crucifié par Caïn ! « La Route de l’Esclave » et ses stations à la cynique résonance. « Place des Enchères », pour la mise à prix et la vente : les invendus sont jetés. « Arbre de l’Oubli », pour que les vendus oublient le pays qui sait le mal qu’il leur a fait. « Arbre du Retour », pour qu’à leur mort l’esprit des vendus retourne au pays. Etc. De tels stigmates dans l’inconscient collectif peuvent fracturer les retrouvailles, les rendre problématiques. La Guadeloupéenne Maryse Condé l’a éprouvé. En 2018, elle confie : « Je n’avais jamais imaginé que l’Afrique pouvait être une terre hostile, et pourtant j’y ai connu douze années de souffrance et de galère. » Dans la même interview, l’écrivaine ajoute que, vue du Sénégal au temps de sa jeunesse, l’Afrique est un « milieu de hontes et de mensonges ». Sa tentative de vivre sur la terre de ses ancêtres vendus tourna au cauchemar. Elle s’en retourna.
Les retrouvailles en train d’advenir portent donc en filigrane le syndrome Maryse Condé. On devra l’exorciser en semant et multipliant partout au Bénin des places et des arbres nouveaux pour désenvouter les mémoires et les cœurs, mettre en déroute « La Route de l’esclave », désamorcer à tout jamais rancœurs et rivalités d’antan, faire plier la Bête. « Car c’est de l’homme qu’il s’agit, et de son renouement… Je t’ignore, litige. Et mon avis est que l’on vive ! » (Saint-John Perse). Et si les 156 femmes et hommes à revenir dans le sillage des 26 trésors royaux revenus étaient 182 appels à faire resplendir le côté jour de l’homme ?
Oui, ils sont bel et bien 182 appels pressants à resplendissement de l’homme.