Il est des initiatives dont le caractère bouleversant échappe aux gens du présent pour apparaître normal aux gens à venir lorsque, loin de son point d’ancrage, l’acte novateur aura pris sa vitesse de croisière pour ne plus rien n’avoir de révolutionnaire ni d’historique en apparence.
Et nous serions dans ce cas de figure pour l’acte subversif qui se déroule en ce moment précis, à l’insu de beaucoup de Béninois, sur la Zone Industrielle de Glo-Djigbé, sur le flanc d’Allada. Là, l’Etat béninois a décidé de renverser la vapeur qui fit du Dahomey-Bénin pourvoyeur de la matière première pour un savon très apprécié sur les bords de la Seine et qu’on appelait « savon de Marseille ». Et, citoyen lambda à Abomey et à Paris, il fallait être d’une immense curiosité pour savoir que ledit savon était à base de l’huile de palme du Dahomey, que le colonisateur importait de sa colonie. Bien qu’il ne soit plus colonie, le Dahomey-Bénin devait, jusqu’à récemment, exporter son coton brut pour qu’il aille loin de lui créer mille et un emplois pendant que chez lui les jeunes Béninois se retrouvent aux abonnés « diplômés sans emploi ». Or là, à Glo-Djigbé, l’Etat béninois a déjà investi un milliard d’euros. Quinze mille emplois en vue. Transformation sur place du produit de nos champs de coton. En direction de l’Europe, des Etats-Unis, de l’Asie et de l’Afrique, vente de chemises, tricots, polos, made in Benin, répondant aux normes internationales. Ce n’est pas un miracle. Il fallait y penser et prendre résolument les moyens d’engager l’acte. Et les hommes et les machines sont d’ores et déjà en acte à Glo-Djigbé.
Et c’est là, à Glo-Djigbé, comme une floraison, un début d’accomplissement du vouloir s’arracher aux chaînes exprimé par le visionnaire martiniquais, petit-fils d’esclaves noirs. Car voici « le temps de nous-même ». Et nous réalisons, en relief, le vouloir d’Aimé Césaire. Car nous voici refusant absolument tous les « voyages de déracinements » au sens d’assujettissement, refusant absolument d’être « assouplis aux agenouillements ». Car nous voici là, à Glo-Djigbé, nous voici inventeurs en puissance de la poudre et de la boussole, dompteurs en puissance de la vapeur et de l’électricité. Car il n’y en a pas que pour le coton, et nous ne nous arrêterons pas au coton.
Car résolument, dans la foulée des jeunes Volontaires du Corps de la Paix venus du Nouveau Monde, nous irons à l’écoute des paysans, à l’écoute des gens habitants du pays, pour recueillir auprès d’eux nos savoirs en perdition sans le support de l’écriture. Les recueillir. Les transcrire en leur état empirique. Les introduire dans nos laboratoires d’où ils sortiront chargés de ce qu’Aimé Césaire appelle « la succulence des fruits », d’où ils sortiront rationalisés, science et trésor à l’usage de tous. Le Dahomey-Bénin est réputé laboratoire d’idées politiques qu’il n’applique point et que ses voisins ont l’art de reprendre à leur compte pour une application conséquente. Cette fois-ci, ils iront à Glo-Djigbé et verront et seront édifiés et reproduiront à toutes les échelles chez eux ce qu’ils auront vu à Glo-Djigbé. Et si l’acte engagé à Glo-Djigbé est modèle de libération pour les peuples d’Afrique, il est aussi appel à renouveau et à renaissance pour les peuples du monde car, dit Aimé Césaire, « ce que je veux / c’est pour la faim universelle / pour la soif universelle ». Car la prise de conscience dont Glo-Djigbé est la rampe de lancement est tout simplement humaine, merveilleusement humaine. Car, dit encore Aimé Césaire, « il est place pour tous au rendez-vous de la conquête et nous savons maintenant que le soleil tourne autour de notre terre éclairant la parcelle qu’a fixée notre volonté seule et que toute étoile chute de ciel en terre à notre commandement sans limite ». Sur le chemin « d’un retour au pays natal ».
Voilà pourquoi c’est toujours déjà « le temps de se ceindre les reins comme un vaillant homme ». Comme une femme de courage. Pour réaliser et renforcer la floraison d’Aimé Césaire.