L’auteur de ‘‘L’aventure ambigüe‘‘ a dépeint avec force netteté lesdits intellectuels africains : « Notre sort à nous autres, étudiants noirs, est un peu celui de l’estafette. Nous ne savons pas, au moment de partir de chez nous, si nous reviendrons jamais. » On le sait parfois : patriote en verve, on reviendra servir le pays et le sauver de ses dirigeants veules et vendus à l’ancien maître. Vive Kar Marx ! Mais les villages aux sentiers asphaltés, les nuits éclairées sans délestage, le vrai goût du macaroni, ces choses et d’autres retiennent nombre d’estafettes qu’on retrouve fourbues et garées entre France et Navarre, ce qui épaissit l’ambiguïté de l’aventure et partage les gens partis en re-venus et non-revenus. Ceux-ci travaillent dur. Ils envoient au pays des chèques, manne tombée du ciel pour aider à sauver ce que le re-venu Sony Labou Tansi baptisa « La vie et demie ». Mal aimés, les non-revenus fantasment la mort subite du franc CFA et l’accomplissement soudain du panafricanisme.
Récemment, profitant du Mali en crise, les non-revenus ont hissé avec fougue le drapeau du panafricanisme. Et il est vrai que, dans l’Afrique Unie (l’AU et non l’UA), le Mali n’aurait pas connu la sécession avortée de l’AZAWAD, et que le Panbéninisme, qui bégaie depuis 60 ans, parlerait déjà clair et net pour la joie des Béninois. Une bonne stratégie que le Panafricanisme. Dans l’AU, tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. Hélas, les foules des non-partis et les re-venus ne sont pas sûrs que le Panafricanisme, par miracle, remplira le panier de nos ménagères, comblera nos nids de poule, empêchera nos présidents démocrates de vouloir la monarchie ou le maréchalat, donnera le néon à ceux qui veulent en finir avec l’enfumage de la bucolique « lampe au beurre clair qui permet d’attendre l’aube », selon le poète Senghor. Les Béninois non-partis, de concert avec les re-venus s’inquiètent aussi de voir que la vraie fausse solution à la crise au Mali a été acquise par l’entremise d’un croyant, pas seulement fervent et rigoureux, mais rigoriste. Si les choses stagnaient, sa ligne pourrait l’emporter et la vraie fausse solution se transformer en ‘‘solution finale’’. Une fois déjà on coupât des mains, saccageât tombeaux sacrés et livres mythiques à Tombouctou sous la férule du divin. Les Béninois, naguère marxistes-léninistes, ont connu les affres de la pensée unique : imposition de la fraternité animalière avec les perroquets sans le bénéfice du Panbéninisme. Les Béninois craignent que la pensée unique revienne ici ou là en Afrique.
A l’occasion de la crise malienne et de sa vraie fausse solution, les non-revenus ont lynché à tue-tête et avec hargne le franc CFA, cette création gaullienne, notre assèchement et le lait de la France depuis des lustres. C’est pour cela aussi que tous les clochers de France tiennent de Gaulle en odeur de sainteté. Nonobstant cette sainte odeur, le franc CFA doit disparaître. C’est l’avis de tous, non-partis, re-venus, non-revenus. Mais sachons raison garder. Sevrée de son franc CFA sans précaution, la France perdrait son rang en Europe et dans le monde. Les pays sucés par le franc CFA ne gagnent rien à la France effondrée. Pas plus qu’ils ne gagnent au franc CFA disparu sans négociation ni préparation longues afin d’éviter à la France et à eux-mêmes le désarroi du margouillat tombé brutalement du haut de la palissade : dans le sauve-qui-peut hirsute, pendant que nous tituberions en quête d’une nouvelle monnaie, notre propre effondrement pourrait suivre celui de la France. Pure galéjade donc que l’annonce à la cantonade de l’évangile de la mort du franc CFA à une conférence de presse bi-présidentielle à Abidjan et á la fin d’un Conseil des Ministres á Paris.
Ce qu’il nous faut à tous, non-partis, re-venus, non-revenus et Présidents inquiets, c’est de savoir raison garder, nous hâter avec raison, nous en remettre au philosophe Max Weber, nous en remettre à son éthique de conviction et à son éthique de responsabilité.