‘‘Le tout est de tout dire.’’ Et quand il vous a été donné de traverser la rivière du temps aux côtés parfois de ceux qui tiennent la pagaie, il peut être important de ne pas passer à l’autre rive sans avoir suggéré à ceux qui sont au début du voyage ou au milieu du gué les coups de barre à donner pour que les passagers se sentent à l’aise à bord de la barque républicaine. Il y suffirait, par exemple, de l’accueil réservé, hier et aujourd’hui, au citoyen dans nos administrations, dans nos ministères, voire dans le bureau du Ministre.
Hier, septembre 2008. L’instituteur à la retraite, créateur d’une école primaire dans son village, a obtenu de rencontrer le Ministre pour lui soumettre une idée de réforme qu’il estime bénéfique pour nos enfants scolarisés. Souvent à la merci des urgences de la Marina, le Ministre fixe le rendez-vous à 9h, en espérant que, venant d’au-delà de Calavi par temps de pluie sur des voies en chantier rendues boueuses, le septuagénaire ne verra pas d’un trop mauvais œil qu’on l’oblige à se lever tôt. A 8h30, sa présence est annoncée, et le Ministre de le recevoir aussitôt. A sa vue, l’hôte lève les bras au ciel et hurle : ‘‘Je n’ai jamais vu ça ! Non, je n’ai jamais vu ça !’’ Surpris, le Ministre inspecte autour de soi et ne voit rien d’anormal. Assis et toujours à son émotion, le vieil homme avoue : ‘‘Non, c’est vrai, ça ne m’aurait pas choqué, je suis habitué. J’étais venu pour rester collé à un banc jusqu’au soir et m’entendre dire que le Ministre est empêché et que le rendez-vous est reporté. Ainsi, deux à quatre fois, jusqu’à… Vous comprenez, je suis habitué. C’est pourquoi je ne vous comprends pas…
Aujourd’hui, juillet 2017. Un quadragénaire raconte. J’en ai marre de l’Hexagone. Mon entreprise y prospère, mais je veux quand même venir m’installer et travailler chez moi. Un cousin bien placé m’a aidé et j’ai obtenu de rencontrer le Ministre pour lui présenter l’entreprise que j’entends ramener de Toulouse à Cotonou. Quand j’ai été introduit en sa présence, le Ministre avait les yeux rivés sur son ordinateur et les doigts scotchés au clavier. ‘‘Asseyez-vous, Monsieur ! Que puis-je pour vous ?’’ De temps en temps, il y est allé de : ‘‘Ça, c’est telle direction… Ça, c’est tel service…’’ Quand j’ai eu fini ma présentation, il m’a congédié d’un ‘‘au revoir, Monsieur’’. Jamais il n’a levé les yeux sur moi pour constater si j’étais noir sachet-poubelle ou café moulu. Il est vrai que ce n’était pas le sujet. Je retourne bredouille à Toulouse, mais pas découragé. Je suis demandeur et c’est à moi d’insister, quitte à affronter le mépris. Je reviendrai donc frapper à toutes les portes. J’en ai marre de cet exil choisi par les miens depuis le temps de mon adolescence. Je vais revenir chez moi…
Le septuagénaire s’est habitué au mauvais accueil des ministres. Le quadragénaire reviendra malgré le mépris ministériel. Or, dans tous les cas de figure, l’accueil du Ministre doit être bon, engageant, rassurant. Quand le Ministre fait bon accueil au citoyen, celui-ci se sent aimé et porté par toute la République. Et voyez les grandes ailes qui lui poussent au service de soi au sein de la République respectueuse de sa personne ! Au demeurant, le petit Robert précise que ministre vient du latin minister ‘‘serviteur’’. Et cela sonne christique : ‘‘Le plus grand parmi vous sera votre serviteur.’’ (Math, 23/11). Mais il n’est point besoin que le responsable républicain recoure aux Saintes Ecritures, l’article 8 de la Constitution lui suffit, qui dit la personne humaine sacrée et inviolable et fait à l’Etat ‘‘obligation absolue de la respecter et de la protéger’’. Le Ministre de la République représente l’Etat au chapitre du respect des droits du citoyen, au chapitre du respect de l’engagement à respecter le citoyen. Le respect est fleur morale, apanage humain, lieu républicain. Que s’y engagent les conducteurs de la barque républicaine, et le Bénin aura fait un grand pas d’honneur et de dignité. Le respect de tous pour tous, et notre vivre-ensemble s’illuminera de fraternité.
Roger Gbégnonvi