Fin avril 2017, l’initiative baptisée ‘‘La journée citoyenne’’ en est à sa 6ème édition. Le thème de travail choisi est ‘‘Le citoyen face au bien public’’. De façon inattendue, le débat vire au tragique face aux constats qu’il n’y a de cité-Bénin que sur la carte d’identité, quand on en a une, que le citoyen béninois est une fiction, que tous se réfugient dans leur ethnie, le seul espace qu’ils se tiennent prêts à défendre conte tous les autres espaces. Il est vrai que la rencontre a lieu dans l’une de nos communes dont les ressortissants subissent depuis trop longtemps le regard hautain et condescendant de leurs ‘‘concitoyens’’ arrogants.
A leurs yeux, dans les faits, ce que, par convention, l’on nomme République du Bénin (république=chose publique) n’est qu’un conglomérat d’ethnies juxtaposées et antagonistes. C’est par abus de langage qu’on y parle de bien public, lequel bien public épouserait la figure du Président de la République, derrière lequel lesdits Béninois s’alignent face au même drapeau, chantent le même hymne national, obéissent à la même loi fondamentale, ont en commun l’Atakora, les collines de Dassa, l’océan Atlantique, etc. C’est faux, disent les participants, nous n’avons rien en commun. Chacun s’accroche à son village comme le seul endroit qui lui appartienne, tel l’enfant qui n’entend rien à un bien commun ou public.
Ce quant-à-soi, ils le justifient par les blessures profondes laissées par les guerres d’avant la colonisation qui, non cicatrisées, sont à l’origine d’une rancœur vivace avec des métastases partout dans le pays. Trop de sang et de cadavres dans les mémoires. Comment se revendiquer du Bénin quand vous savez que dans tel palais, les crânes sur lesquels repose tel trône appartiennent à des membres de votre ethnie, que le sang qui a pétri les murs dudit palais comprend celui de vos frères et sœurs, qu’en allant frapper à la porte d’un membre de l’ethnie voisine ou lointaine, on vous répondra ‘‘entrez si vous êtes un animal, mais pas si vous êtes de l’ethnie Unetelle’’, quand les ethnies n’ont que des qualificatifs ignobles pour se désigner entre elles dans leur parler quotidien, etc. Décidément, ‘‘L’enfer c’est les autres’’. Et nous sommes condamnés á vivre en enfer, puisqu’il est déraisonnable d’envisager une série de sécessions pour cultiver le strict et maigrichon vivre-entre-soi.
Les participants disent que les deux malheurs, étouffer en enfer ou dépérir recroquevillé sur soi, seront surmontés par la transgression heureuse du pardon demandé et obtenu par les descendants des fauteurs de guerre. Qu’il est déraisonnable que, dans le Bénin d’aujourd’hui, on se couvre de gloire au souvenir des horreurs dont les pères ont couvert les autres hier. Que l’Allemagne n’a jamais été aussi glorieuse que le jour où, en décembre 1970, le Chancelier Willy Brandt transgressa tout protocole d’Etat et s’agenouilla devant l’ancien ghetto de Varsovie pour honorer la mémoire des victimes du nazisme. Que la transgression au Bénin consistera à retourner les crânes ci-dessus et les restes poussiéreux des généraux Kposu et Gahu à qui de droit pour que des obsèques dignes leur soient enfin offertes in memoriam. Que la transgression retirera de nos langues mots et adages injurieux qui nous servent à crucifier chaque jour les autres ethnies, etc., etc. Les participants disent que les calculs politiciens empêcheront nos politiciens d’œuvrer à cette mission salvatrice. Qu’il y faut l’action généreuse d’une société civile amoureuse du Bénin. Les participants disent que le Coryphée du Bénin Révélé gagnera créance et noblesse nouvelles s’il s’efforce aussi de bâtir le Bénin Réconcilié. Rien que de la cacophonie dans le Bénin désaccordé, alors qu’il est tant de belles harmonies à créer dans le Bénin bâti réconcilié. Les chœurs du Bénin bâti réconcilié feront chorus à l’Hymne à la Joie. Heureux, les enfants d’Afrique prendront leçon de ‘‘ces Béninois [qui] nous étonneront toujours’’. Faisons-le ! Sursum corda !
Roger Gbégnonvi