Lesdits accords sont secrets et le restent depuis 62 ans parce qu’ils sont aliénants, honteux. Et ce ne sont pas des accords puisque seule la France les a rédigés. Pour éviter un remake de la Guinée Conakry en 1958, elle a décidé en 1960 de distribuer les indépendances à ses colonies. A la veille de cette distribution, et pour que les pays concernés continuent de combler ses besoins en énergie et de servir ses intérêt économiques, elle a concocté pour eux des obligations à respecter. Les dirigeants au pouvoir devaient – doivent – s’y conformer au risque d’être blackboulés et remplacés par des gens plus soumis. Indépendances liées, ficelées, pour que la France reste maître à bord et puisse ainsi tenir son rang au sein de l’Union Européenne à côté de l’Allemagne à l’économie enviable. Or donc, le temps est venu, au XXIème siècle, pour la France et pour les « siens » africains, de rompre les chaînes. Abroger de part et d’autre ces obligations imposées au cheval par celui qui le monte, le cheval s’étant rebiffé pour entrer de plain-pied en terre d’humanité libérée et libre.
Quatre facteurs lisibles exigent cette abrogation qui ne fera perdre la face à personne. Le premier tient à ce que ces accords imposés ont, au fil du temps, faibli, perdu de leur autorité. Ainsi, par exemple, a-t-on pu adhérer au Commonwealth et continuer à se réclamer de la francophonie, bénéficier du concours d’armées non françaises et garder la présence des troupes françaises. Le deuxième facteur tient à la démographie. La population du Bénin est passée de deux millions environ en 1960 à douze millions environ en 2022. Les ‘‘pays-frères’’ ne sont pas restés en marge de cette poussée démographique, au regard de laquelle les ponctions françaises sur les économies africaines ne peuvent qu’aggraver la paupérisation des pays concernés. Qui a dit que la France se moque de la clochardisation à outrance des siens africains ? Le troisième facteur tient à ce que la France a su rendre légal le rapatriement de trésors acquis par elle lors des guerres coloniales. Le monde est d’abord une affaire de mots. « Les mots et les choses » (Michel Foucault). Et il a suffi de substituer « objets pillés » à « trophées de guerre » pour que la loi autorise que nombre de pièces précieuses retournent à leur terre de création. Le quatrième facteur, moins visible, n’en est pas moins important. Il tient à ce que la France, au XXIème siècle, a besoin de parler avec des partenaires qu’elle respecte et qui la respectent. Le respect unilatéral ne génère que crainte et tremblement. Or les pays africains, anciennes colonies, ne craignent plus et ne tremblent plus. La France doit en prendre acte et œuvrer à ce que les intérêts de ses amis africains prospèrent en Afrique et dans le monde autant que les siens. L’interdépendance n’est pas un vain mot comme l’a montré la pandémie du Covid-19 et comme le montre la guerre en Ukraine. Or il est possible de jouer l’interdépendance sur des musiques paisibles et joyeuses.
Le premier facteur pourrait donner à penser qu’il suffit de laisser pourrir ou plutôt mourir les accords secrets de leur belle mort, à force d’affadissement. Non, il faut les abroger par un acte légal et solennel, qui marque la fin d’une ère et le début d’une autre, plus digne que celle qui l’a précédée, début de l’ère de la vraie coopération entre la France et ses anciennes colonies devenues indépendantes. Une coopération vertueuse. La France et ses amis africains le peuvent. Ils peuvent apporter leurs notes à l’ode qui enchantera le monde. Et parce qu’ils le peuvent, ils le doivent pour leur honneur, de part et d’autre. La France et ses amis africains, ensemble, mettent maintenant en musique Saint-John Perse : « C’étaient de très grandes forces en croissance sur toutes pistes de ce monde… Et sur les pas précipités du soir, parmi les pires désordres de l’esprit, elles instituaient un nouveau style de grandeur où se haussaient nos actes á venir. » Oui, un nouveau style de grandeur.
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