Le retour aux sources est une quête profonde qui transcende les frontières et le temps. Pour Fabricio Ortiz, Babalao cubain, ce retour l’a conduit jusqu’au Bénin, berceau des traditions spirituelles qu’il a longtemps pratiquées à des milliers de kilomètres de là. Son histoire est celle d’une reconnexion à des racines qui n’ont jamais été oubliées, même après des siècles d’éloignement.
Dans le silence apaisant du Centre de Développement Artistique et Culturel (CDAC) de Ouidah, Fabricio, Babalao encore appelé prêtre Fâ d’origine cubaine, dévoile une histoire fascinante de spiritualité qui relie deux continents, deux cultures et deux traditions. Initié il y a plusieurs décennies à la Santería, une pratique religieuse cubaine enracinée dans le Vodun, Fabricio raconte avec passion son parcours qui l’a mené, après des années de dévotion, jusqu’au Bénin, la terre d’origine de ses croyances.
Une enfance cubaine sous le signe de la Santería
Depuis son enfance à Cuba, Fabricio a été immergé dans la Santería, une religion syncrétique fusionnant les croyances africaines avec le catholicisme. « Là-bas, ça s’appelle la Santería parce que « santo » veut dire « saint ». Ils parlaient des saints, mais en réalité, ils désignaient les Voduns. Chaque Vodun est un saint », explique-t-il. La Santería, profondément enracinée à Cuba, est une continuation des traditions Vodun apportées par les esclaves africains. À Cuba, les Yoruba sont appelés Lukumi et les Fons, Arara, en référence à leur origine d’Allada, au Bénin. Ces groupes ont maintenu vivantes leurs pratiques spirituelles malgré les siècles de colonisation.
Rencontre avec le Bénin : Un retour aux sources
Il y a environ huit ans, un événement marquant a poussé Fabricio à franchir une nouvelle étape dans sa quête spirituelle. « Un jour, en France, Vincent ( Vincent Harisdo, danseur, chorégraphe et pédagogue béninois de renommée internationale Ndlr ), un ami, a vu chez moi des statuettes, des divinités, et le signe du Fâ. Il m’a demandé d’où je les tenais. Quand je lui ai dit que cela venait de Cuba, il a été surpris. » Cette rencontre a encouragé Fabricio à visiter le Bénin, un pays qu’il n’avait jamais connu mais dont il connaissait les traditions à travers ses pratiques à Cuba.
Fabricio a alors entrepris un voyage au Bénin, motivé par une volonté profonde de reconnecter ses pratiques religieuses avec leurs origines. « Je me suis dit que si je vais au Bénin, j’emporterai mon Lègba, mon Gou, je les ramènerai à la terre où ils sont nés », raconte-t-il avec émotion. Lorsqu’il a présenté ses divinités à des Béninois, leur réaction a été frappante : « Ils se sont tous inclinés pour les saluer, ça m’a frappé. Je me suis dit : ‘Comment !!!’ »

Cette connexion instantanée entre les traditions cubaines et béninoises a confirmé à Fabricio la résilience extraordinaire de ces pratiques ancestrales. Malgré les siècles, « rien n’a changé. Ce que nous faisons là-bas, et ce qui se fait ici depuis des milliers d’années, se fait toujours de la même manière », souligne-t-il.
Un appel à la préservation
Pour Fabricio, ces traditions ne sont pas simplement des vestiges du passé, mais une philosophie de vie essentielle dans le monde moderne. « Je sais qu’il y a des gens qui voient cela encore comme de la sorcellerie, mais cela fait partie de la culture, c’est une philosophie de vie », affirme-t-il.
Il encourage les Béninois, et tous ceux qui s’intéressent à ces traditions, à ne pas négliger cet héritage précieux : « Ne vous lancez pas forcément dans la religion, ne pratiquez pas forcément, mais essayez de lire les textes de référence. Chaque Vodun a une histoire, et cela vous apportera toujours quelque chose pour votre quotidien. »
Un pont entre deux mondes
Au-delà de ses propres pratiques, Fabricio aspire à créer des liens plus forts entre les Babalaos de Cuba et les Bokonons du Bénin. Il souhaite transmettre ces connaissances, que ce soit par l’écriture, la réalisation d’un documentaire, ou l’enseignement des histoires et des fables du Vodun aux plus jeunes. « On devrait enseigner cela aux enfants à l’école. Pas pour les convertir, mais pour leur montrer nos histoires à nous. Comme les Grecs avaient leurs fables et leurs dieux, qui sont enseignés en Europe, ici aussi, il faut que cela soit transmis. »

Pour lui, la Santería et le Vodun ne sont pas seulement des religions, mais des hommages aux ancêtres qui ont façonné le monde tel qu’il est aujourd’hui. « Cela apporte la paix, la stabilité, ce qui manque aujourd’hui dans le monde », conclut-il.