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Chasse aux Noirs dans Carthage et ailleurs [Chronique Roger Gbégnonvi]

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Partout et toujours, devrait-on préciser, puisqu’il s’agit d’une constante. Récemment donc, le Raïs, soi-même, sonna le tocsin, et les siens se mirent à vider sur les migrants subsahariens leurs corbeilles de « propos haineux et racistes », sur eux tous, « aussi bien en situation régulière qu’irrégulière ». Noirs, ils devaient quitter sans délai le sol tunisien qui les avait accueillis pour des tas de petits boulots. Effarés, quatre pays subsahariens envoyèrent des avions à leurs compatriotes jetés à la rue, pour les rapatrier illico afin de leur éviter le surplus d’humiliation des crachats sur leurs corps noirs dans les rues de Tunis et de Tunisie.

La chasse aux Noirs paraît dans l’ordre des choses au Ciel et sur la terre. Certains observateurs noirs, désabusés, n’ont donc pas eu besoin de se remémorer l’antique « Je suis noire et pourtant belle » du Cantique des cantiques pour hausser les épaules, il leur a suffi de s’arrêter à Lyon en septembre 1907, de retourner au synode qu’on y tint pour statuer sur le clergé catholique dahoméen en gestation. L’une des décisions indique : « Ce seront dès prêtres libres qu’on rétribuera, ils sortiront le moins possible de leur pays et jamais n’iront en Europe. » Prêtres selon l’ordre sacré de Melchisédech, interdits pourtant d’Europe. Parce que Noirs ?

Cette décision prise à ce synode entretient un lien subliminal avec l’indifférence et le silence du Ciel sur le statut des Noirs. La grande Thérèse d’Avila vécut entre 1515 et 1582, au moment donc où Portugais et Espagnols s’étaient réservé « le fructueux trafic » de la traite négrière. La mystique espagnole dialoguait souvent avec le Ciel. Elle hésitait sur la direction à donner à sa vie de moniale lorsque, en 1559, « Notre-Seigneur intervient et lui dit de travailler à la réforme du Carmel ». Le 18 novembre 1572, « Notre-Seigneur lui apparaît et lui confère la grâce du ‘‘mariage spirituel’’, caractéristique d’une très haute union divine ». Etc., etc. Pourquoi jamais Notre-Seigneur ne suggéra à la mystique d’aller dire aux Princes du Portugal et de l’Espagne de cesser d’acheter et de vendre, comme bétail, les Noirs, ses frères aussi ?

Le silence de Notre-Seigneur au XVIème siècle fera écho silencieux au XXème siècle. En 1917, la Vierge Marie apparaît six fois à Fatima, au moment où le très catholique Portugal colonisait et exploitait six pays d’Afrique dont l’Angola et le Mozambique. Les trois enfants bénéficiaires des apparitions reçurent de la Vierge des messages pour la terre, mais aucun pour demander au Portugal d’en finir avec sa colonisation des Africains. La « Mère du Christ et Mère des hommes » passerait-elle sous silence l’exploitation des Noirs, ses enfants aussi ?

Les questionnements ci-dessus paraîtront hors-sol, surréalistes, intemporels : yeux écarquillés, fronts plissés. Ils ne sont pourtant ni absurdes ni fous. Peuvent et doivent en avoir l’audace ceux que l’autre persécute, non qu’ils soient criminels, mais parce qu’ils existent, différents, et que l’autre a peur de cette différence. Et l’autre, manipulateur, arrive à détourner de ses crimes le visage du Ciel quand celui-ci vient à passer. Ainsi, Notre-Seigneur et la Vierge Marie, palestiniens et juifs selon les normes de la terre, restent-ils, lors de leurs apparitions, bouche cousue sur les persécutions que subissent les leurs et sur la Shoa larvée entretenue ici et là dans le monde. Nul pourtant ne les accuserait de sionisme, de népotisme ou de favoritisme, s’ils parlaient pour tenter d’en finir avec la méchanceté gratuite des hommes.

Les questionnements ci-dessus n’impliquent pas une revanche à prendre, d’ajouter la peur à la peur, le malheur au malheur. Ils requièrent de ceux qui les formulent, à juste raison, une résilience imaginative au service d’une intelligence créatrice pour acquérir estime de soi et conquérir respect et considération de l’autre. Ballottés partout, bon an mal an, entre le chaudron de Tunis et la fournaise d’Auschwitz, « Les damné de la terre » détiennent, hélas, la mémoire douloureuse de l’humanité. Leur devoir donc dans la vraie vie, leur seul devoir, est de s’employer, désespérément, à « faire quelque chose pour le bonheur ».

Roger GBÉGNONVI

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