Ici et là, on reproche au Nouveau Départ placé sous le signe de la Rupture de privatiser à tout-va des entreprises d’Etat et, ce faisant, de ‘‘livrer le pays aux Grands-Concessionnaires’’, comme dirait Senghor. C’est possible. Mais a-t-on cherché à connaître, à comprendre la ou les raisons profondes de ces privatisations, apparemment préjudiciables à l’économie du pays, de la part du Nouveau Départ qui met en avant le renouveau du pays ?
On se souvient que l’Etat béninois, révolutionnaire farouche, a fermé ses pharmacies populaires. Clé sous la porte. Employés à la rue. Les magasins de l’Office National de Pharmacie (ONP) n’avaient plus rien sur les étagères. Faillite en vendant des produits que nul n’achète à crédit. Prouesse de l’Etat béninois. On se souvient de même que la Banque Commerciale du Bénin (BCB), banque d’Etat, à qui tous devaient remettre leurs avoirs, ne fut plus capable, à un moment de son histoire, de laisser les petits épargnants avoir accès aux pauvres sous de leurs carnets d’épargne. La banque à sec. La seule banque du pays, banque d’Etat, avait fait faillite. Clé sous la porte. Employés à la rue. Aujourd’hui, en 2017, dans les villes dotées d’eau courante, on voit parfois l’eau sourdre d’un point fixe en dizaines de buées par seconde, buées qui s’étalent et s’étirent en petit ruisseau sur des dizaines de mètres dans la cité. A pied, à moto, en voiture, au téléphone, les riverains alertent l’agence de la Société Nationale des Eaux du Bénin (SONEB) à qui ils payent leurs factures, rubis sur l’ongle. ‘‘Patientez, on arrive !’’ Après plus d’une semaine, deux ou trois employés viennent au lieu-dit et colmatent la canalisation souterraine qui a ‘‘pété’’. Il arrive que, quelques mois plus tard, les buées reviennent au même endroit. Les employés reviennent aussi. En toute nonchalance. Pour démontrer que l’Etat-Rupture peut faire faillite en vendant de l’eau.
Bien sûr, les trois exemples sont loin d’être exhaustifs. Ces immobilismes et ces faillites n’ont pas d’explication autre que celle-ci : que leur entreprise soit publique ou semi-publique, les agents de l’ONP et de la BCB hier, de la SONEB aujourd’hui, sont des fonctionnaires de l’Etat. A ce titre, il leur importe la régularité de leur salaire, la grosseur et la ponctualité des primes et indemnités, les grèves répétées pour ‘‘faire valoir nos droits’’. Le reste et l’essentiel ne leur importent pas plus que leur première culotte.
Voilà pourquoi, en toute logique, ce qu’on appelle avancement au mérite dans les pays qui aident le Bénin n’a aucun sens pour le fonctionnaire béninois. Il admet, avec enthousiasme, que les apprenants à tous les niveaux soient parfois contraints de redoubler leurs classes pour avoir été jugés mauvais. Il admet, sans discuter, que les agents du secteur privé soient soumis à la barbarie de l’avancement au mérite, car ‘‘c’est leur problème’’. Mais lui, agent permanent de l’Etat béninois, à Dieu ne plaise ! Il est avancé automatiquement tous les deux ans. Sinon, malheur ! Grèves jusqu’à ce que recul de l’Etat s’ensuive.
Il s’ensuit que si l’Etat-Rupture ne veut pas décevoir en allant de faillite en faillite, il doit privatiser, et privatiser plutôt les fleurons de l’économie nationale. Il existe donc un rapport étroit entre l’Etat privatisant et les fonctionnaires de l’Etat rejetant l’éthique et l’équité de l’avancement au mérite. Certes, les services du secteur privé reviennent plus chers aux usagers. Mais les Béninois sont habitués à suer sang et eau pour recourir aux cliniques privées plutôt que de se risquer dans les hôpitaux de zone qui, plus souvent qu’à leur tour, n’ont que la morgue payante à vous offrir contre une incertaine gratuité des soins.
Le drame rabelaisien du Bénin, c’est la non-conscience professionnelle, fondement du secteur public. Ce refus cultivé de la performance ruine l’âme du fonctionnaire béninois et ronge le corps social du Bénin. S’attaquer au cancer. L’Etat-rupture en aura-t-il l’audace ?
Roger Gbégnonvi
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A croquer!