Vincent Harisdo, artiste danseur, chorégraphe, et pédagogue béninois, est aujourd’hui une figure emblématique de la danse contemporaine africaine. Sa renommée internationale repose sur son approche novatrice, qui fusionne tradition et modernité, et qui réinvente la danse africaine pour la scène contemporaine mondiale.
Harisdo a débuté sa formation à l’Académie de Danse de Paris, où il s’est initié à la danse classique et au jazz, des disciplines qui lui ont permis d’acquérir une solide base technique. Son parcours artistique s’est enrichi lorsqu’il a exploré la danse contemporaine sous la tutelle d’Alvin Mc Duffy, un mentor qui a affiné sa compréhension du mouvement moderne. Mais c’est avec Koffi Kôkô, maître de la danse sacrée, que Vincent Harisdo a véritablement trouvé sa voie, en intégrant les éléments spirituels de la culture Vodun à sa pratique chorégraphique. En séjour au Bénin, le journal Lameteo est allé à sa rencontre à Ouidah dans l’un de ses espaces dédiés à la transmission de son savoir. Interview !
Lameteo : Qui est Vincent Harisdo ?
Vincent Harisdo : Je suis Vincent Harisdo, de mon vrai nom de naissance Edoh Vincent. Je dis souvent que je suis le fruit de la conférence de Berlin, qui, avec la séparation arbitraire du Togo et du Bénin, a créé une incertitude sur nos origines. On ne sait plus vraiment d’où l’on est : du Togo ou du Bénin. Toujours est-il que je me définis comme un citoyen du monde, et plus particulièrement comme un citoyen du royaume de Danxomè. Je suis artiste chorégraphe, mais aussi pédagogue et chercheur.
Mon parcours peut être résumé comme celui de tous les enfants élevés au Bénin, puisque j’ai fait une partie de ma scolarité à l’école St Michel de Cotonou avant d’aller au CEG Dantokpa. J’ai ensuite terminé mes études en Europe, dans un pensionnat. Naturellement, en commençant par le Kaleta, par les cérémonies de fête et autres, je me suis intéressé à la danse. Mon oncle, Godefroy Morgan, qui était l’un des premiers danseurs noirs du Bénin et qui a travaillé avec Joséphine Baker, a joué un rôle déterminant. Nous étions toujours impressionnés par les photos de lui dans les journaux qui ornaient les salons de notre maison, et c’est naturellement que j’ai voulu suivre ce parcours.
En Europe, j’ai d’abord commencé par une formation de danseur académique, où j’ai fait du jazz, de la danse classique, du moderne, et du contemporain. Ce n’est que bien plus tard que je me suis intéressé à la danse africaine, et particulièrement à la danse du Bénin, grâce à un grand monsieur, Koffi Kôkô, qui m’a appris à associer la danse et le sacré. Il m’a guidé vers la tradition, basée sur la culture Vodun.
J’insiste sur la culture Vodun parce que je tiens à faire la différence entre la culture et la religion Vodun. Koffi Kôkô m’a enseigné comment travailler avec les notions de visible et d’invisible, et comment rendre la spiritualité accessible à tous à travers l’art. Mon parcours a été façonné par ces enseignements. Après avoir été danseur en Europe dans plusieurs compagnies, je me suis davantage orienté vers la chorégraphie, puis vers la transmission. J’ai un centre chorégraphique de formation de danseurs professionnels à Bordeaux, en France, qui s’appelle l’Atelier 14, où nous formons des danseurs. J’ai également cofondé le CDAC (Centre de Développement Artistique et Culturel) avec des amis, où nous essayons de former des danseurs béninois. Il me semblait naturel de redonner à nos jeunes frères ici en Afrique ce que nous avons appris.
Je travaille essentiellement avec des éléments issus de ce qui me nourrit, c’est-à-dire la culture Vodun, une culture de l’humain, une culture qui dit que la danse est un prétexte pour rencontrer l’être humain. C’est ce qui motive souvent mon travail de création et ma vision de la transmission pédagogique.
En termes de rythme Vodun, plus précisément du rythme du Bénin, je travaille avec les quatre éléments : l’air, l’eau, le feu, et la terre. La terre est représentée par Sakpata, l’eau par le rythme de Mamiwata, le feu par le rythme de Shango en référence au rythme des revenants, et l’air par les rythmes en lien avec Oro, en plus des rythmes Yoruba et Nago. Toute ma gestuelle repose sur ces éléments.
Je ne me contente pas de reproduire la gestuelle traditionnelle béninoise, je cherche à comprendre ce qu’elle raconte, quel message elle véhicule, et comment je peux la transposer dans une culture contemporaine. Je ne fais pas de la danse contemporaine, mais je propose une lecture contemporaine de notre tradition. Je ne fais pas une écriture contemporaine ; je travaille à reproduire les danses d’Afrique en éliminant les répétitions et les symétries pour en faire une danse de spectacle. Il est important de comprendre que les danses traditionnelles ne sont pas destinées au spectacle ; elles sont dédiées à des principes, des cérémonies, des traditions, des cultes. Lorsqu’elles sont transportées sur scène, elles doivent être adaptées à ce que j’appelle la scène italienne, qui est frontale. Comment rendre cette expression accessible à tout le monde ? C’est le défi que je me suis donné, et c’est ce que je fais depuis 30 ans en Europe.
Quel impact votre travail a-t-il sur la scène culturelle au Bénin et comment parvenez-vous à réinventer le patrimoine culturel ?
Comme je le dis souvent, nul n’est prophète en son pays. Il est difficile d’être reconnu au Bénin, même si, dans le milieu très fermé de la danse et de la chorégraphie, il y a quand même quelques emprunts et quelques reconnaissances. Il est vrai que le grand public ne nous connaît pas encore bien, mais ce qui est intéressant, c’est que nous parvenons tout de même à toucher un certain public qui comprend l’essence de notre message. Il ne faut pas se voiler la face : lorsque l’on parle de travailler avec la culture Vodun, cela effraie beaucoup de gens. Nous sommes donc parfois classés à part, dans un type de public qui ne répond pas à la marchandisation de la culture africaine, telle que sollicitée par l’Occident. Je ne fais pas partie de ceux qui vendent l’Afrique comme un musée pour l’Occident, avec des bananes et des plumes pour illustrer le folklore africain et béninois.
L’Occident aime que les Africains représentent cette image, mais je refuse de le faire, et je ne le ferai pas. Malheureusement, l’Afrique est encore trop souvent dans une démarche de répondre aux attentes de l’Occident. Cependant, progressivement, notre message commence à être entendu. Je ne souhaite pas entrer dans un engagement panafricaniste, mais je m’engage à refuser la colonisation culturelle. Je défends l’idée que “Savoir d’où tu viens te permettra d’aller loin et savoir où tu veux aller.” C’est important. Aujourd’hui, je sais que j’ai un impact sur les jeunes au Bénin ; de nombreux jeunes commencent à venir dans notre direction. Je sais aussi que l’Occident commence à porter un peu plus d’attention à notre travail, même si notre discours un peu intégriste culturel les dérange. Progressivement, des institutions commencent à se tourner vers nous, comme le Centre Culturel de Rencontres International (CCRI) de Ouidah ou Janvier, des personnes qui nous font confiance.
Ici à Ouidah, où nous nous trouvons chez vous, parlez-nous de ce lieu où vous recevez des étudiants du monde entier.
Le CDAC, qui est un espace de développement artistique et culturel, n’est ni plus ni moins que le prolongement de ce que je fais en Europe. Ma réflexion a été de dire : “Enseigner les danses d’Afrique, les danses du Bénin en France, c’est bien, mais la logique voudrait qu’un jour je fasse venir des Occidentaux ici pour qu’ils découvrent la source.” Rendre à César ce qui est à César, c’était un peu cela ma démarche en construisant ce lieu et en leur permettant d’être sur place, en immersion. Je pense que l’apprentissage du mouvement ne suffit pas ; il faut aussi en comprendre l’essence et le sens. L’idée de ce centre est d’amener les gens ici pour qu’ils s’immergent dans cette culture, et aussi permettre aux Africains de faire des échanges avec les Occidentaux. Ici, il n’y a pas que moi qui enseigne ; je permets aussi aux Africains d’enseigner aux Européens, et aux Européens d’enseigner aux Africains, créant ainsi un véritable espace d’échange et de partage.
Le CDAC est un lieu où l’on peut dormir, manger sur place, et travailler. C’est une résidence d’artistes, un lieu de création, de production, avec une scène, des endroits pour dormir, et pour manger. On peut y passer un ou deux mois pour réfléchir à son projet de création. C’est un lieu vraiment dédié à la culture, où la culture béninoise est à la base, et où l’on peut s’ouvrir au monde sans perdre son identité.
Parlez-nous un peu des nationalités qui viennent découvrir ce lieu.
Les personnes qui viennent ici viennent du monde entier : d’Italie, de France, de Belgique, d’Espagne, de Colombie, du Brésil, de Cuba, il y a vraiment un peu de tout. Ce sont tous des endroits où je travaille, et chaque fois que nous sommes dans un pays, nous parlons de notre culture, ce qui donne envie aux gens de venir ici.
Au mois d’octobre 2024, nous serons une trentaine de personnes de toutes nationalités. En avril, des Haïtiens et des Brésiliens viendront, et en février, il y aura un stage international où nous accueillerons des danseurs d’Afrique et de la CEDEAO, pour un échange avec des danseurs venus d’autres pays. Notre objectif est aussi de permettre à la diaspora africaine de se réapproprier sa culture. Je suis le directeur artistique du festival des divinités noires au Togo, et cet espace nous permet aussi de créer un pont entre les Vodun Days auxquels nous participons.
Quel est votre mot de fin ?
Pour moi, ce qui me plaît beaucoup, sans vouloir entrer dans la politique, c’est un mot du président Patrice Talon dans son projet du “Bénin Révélé”. Il a dit que “le Bénin est un état laïc, mais de culture Vodun”. Faire connaître la culture Vodun au monde entier par le biais de l’art, de la danse, des arts plastiques, du théâtre, du chant, et de nos pratiques spirituelles, c’est ce message dont je me fais un peu l’ambassadeur. Cela me plaît beaucoup de continuer à véhiculer cette idée, parce que je pense que, pour une fois, nous avons quelqu’un qui refuse que nous soyons les pitres du monde, mais par contre ceux qui permettent aux gens de ne pas tourner en rond et de réfléchir sur ce que sera demain.