Dans la nuit du vendredi 7 au samedi 8 octobre 2022, dans un hôpital de référence du Bénin, une coupure de l’énergie électrique a causé la mort de quatre patients. Aussitôt connu, le drame a entraîné sur les antennes des radios, sur les plateaux de télévision et sur les réseaux sociaux, un déferlement de bons sentiments. Voici, pour l’exemple, trois bons sentiments : « Acte à punir et à décourager à jamais ». « Ça m’a abattu. » « Il faut laisser à Dieu. » Ceci demande une lumière bénino-béninoise : si d’aventure, l’un des éventuels mis en examen devait être un parent ou un ami vous venant parfois en aide, le tribunal s’en remettra à Dieu-de-Toute-Bonté. Dieu est Justice et aussi le seul qui sache faire justice. Dans sa mansuétude infinie, Il absoudra les malheureux fautifs. Dans son ciel, les ayant exonérées du purgatoire, Il prendra les quatre âmes arrachées à leurs corps par une faute humaine non préméditée. Ainsi, les cadavres étant encore frais, les Béninois auront-ils déjà, dans leur bon cœur, renoncé à toute sanction, tout en vitupérant, avec force, les futurs mis en examen.
Au demeurant, face aux quatre décès par inadvertance dans cet hôpital de référence, personne, dans la sphère horizontale et verticale du CNHU, ne s’est senti suffisamment interpellé pour présenter spontanément sa démission afin que l’honneur soit sauf. C’est que le fonctionnaire béninois normal, s’il a parfois la pleine notion de Dieu, ignore pratiquement la notion de mission qui implique celle de responsabilité personnelle. A son poste supposé de travail, il attend son salaire mensuel qui est de toujours à toujours « un salaire de misère ». Actionné par cette misère étale, il s’absente souvent, d’une absence soutenue par ses collègues à travers le mantra « il s’est levé ». Le salaire étant assuré, le miséreux s’en va courir des lièvres ailleurs pour atténuer sa misère. Tout le monde admet qu’il n’a pas à se fatiguer pour une misère reconnue et proclamée telle. Et souvent, on « se lève » à sa suite. D’autant qu’on a des diplômes en poche. Après Dieu, le Béninois normal voue un culte aux diplômes qu’il croit performants en soi. Cette croyance a failli entraîner une vraie guerre entre lui et le Chef de l’Exécutif quand celui-ci a dit voir dans son pays « un désert de compétences ». Et il est vrai que le Béninois normal entretient une intense confusion entre diplôme et compétence, entre savoir et savoir-faire. C’est peut-être pour lui plaire qu’on a créé des licences professionnelles, licences avec compétence à la clé. Mais à quoi sert une licence compétente quand la jeune laborantine licence-pro se dit « obligée de bidouiller les prélèvements » pour s’augmenter le salaire, et que les comptables licence-pro se disent « obligés de fausser les chiffres » pour s’augmenter le salaire ? Misère ! Misère ! Ô Misère !
Il y a six ou sept ans, au cours d’une négociation avec les syndicats, et alors qu’il rechignait à augmenter les salaires éternellement « de misère », le Chef de l’Exécutif s’était entendu dire par quelque membre du corps médical qu’il sera bien obligé de céder « quand les malades commenceront à mourir » pour cause de grève. Il n’y a pas eu grève en la circonstance. Les assassins d’Hippocrate ne revendiquent pas les quatre ci-dessus macchabées. Seule une faute humaine non préméditée les a arrachés à l’affection des leurs. Pour éviter ces non-préméditations donneuses de mort, tous les Béninois savent la recette et la chantent face à tous les micros tendus. Mais dès après la belle ode des bons sentiments devant les micros, ils retrouvent la bonne rengaine des mauvais sentiments, et le Bénin stagne parce que les Béninois restent inchangés. Voilà pourquoi Aimé Césaire préconise la radicalité : « Le matériau humain lui-même est à refondre. » Préconisation désespérée ? Comment peut-on refaire l’homme en profondeur ? Comment peut-il naître à nouveau ? Sur cette question cruciale, Nicodème eut quelque mal à se laisser convaincre par Jésus le Christ.