Les zones côtières d’Afrique de l’Ouest représentent environ 42% du PIB de la région selon la Banque mondiale. Elles abritent près d’un tiers de la population et sont extrêmement vulnérables aux conséquences du changement climatique.
Ange BANOUWIN
Situé dans le golfe de Guinée, le Togo subit également les dégâts de l’avancée de l’océan Atlantique.
Certaines des côtes de Baguida au Togo sont fermées à la circulation. Selon les habitants et la sécurité d’un hôtel local, il est interdit de circuler sur la plage environnante. Des buses et des sacs de sable sont placés par les habitants pour tenter de ralentir l’avancée de la mer, mais ils ne font pas grand-chose pour soulager l’hôtel, dont la terrasse arrière est adjacente à l’océan.
Au Togo, du village de Gbodjomé à Agbodrafo dans la région maritime, l’érosion côtière s’est accentuée ces dernières années. Des maisons, des écoles et même des cimetières sont emportés par les eaux. En juin 2020, 300 familles victimes de l’érosion côtière ont appelé le gouvernement et ses partenaires à trouver une solution urgente pour sauver les habitats restants et le peu de patrimoine qui leur reste, mais rien n’a encore été fait.
L’initiative nationale décentralisée de WACA échoue à Adissém, au Togo
À Agbodrafo, au coin de la rue principale menant à la côte, le panneau de la WACA est bien visible, indiquant l’initiative interétatique Bénin-Togo. Les habitants affirment que les résidents concernés n’ont pas encore été indemnisés par WACA.
Le village côtier d’Adissém est situé à quelques kilomètres de Lomé. Certaines des structures utilisées pour la construction des “puits de fûts” y sont entreposées. A une centaine de mètres, une structure, construite dans le cadre de l’intervention d’urgence de WACA, est visible.
La structure, qui est censée protéger le littoral, ne répond pas entièrement aux attentes des résidents. Leurs bateaux sont garés sur la berge, ce qui complique la tâche des pêcheurs qui doivent les traverser pour aller en mer.
“Quand ils ont commencé, nous étions enthousiastes. Mais à l’heure où nous parlons, ce n’est plus le cas. Les vagues viennent encore jusqu’à nous dans les maisons. Mais nous avons appris que bientôt, ils vont mettre des rochers à Agbodrafo jusqu’ici“, a déclaré Edoh Agbékpozo, l’un des résidents.
“Cela nous a un peu soulagés, mais c’est comme si la hauteur [de la structure] n’était pas suffisante parce que les vagues continuent à nous atteindre. Peut-être qu’ils devront augmenter la hauteur… Au début des travaux, on pensait qu’on serait satisfaits, mais… la mer est très violente, elle passe devant les structures et emporte le sable”, raconte Mawoulé Kagni, un pêcheur.
“Historiquement, quand la mer fait des dégâts, ce sont les rochers que l’on cherche pour la contrer. S’ils ne sont pas détruits, les structures des “puits de fûts” sont renversées par les vagues. Ils sont revenus pour les réparer, [mais] malgré cela, si vous longez la côte, vous verrez que beaucoup sont basculés…”, raconte Abran Cocouvi, un habitant.
Plus de 1 000 résidents aux habitations précaires installés le long de cette côte seront bientôt déplacés. Selon eux, des indemnités leurs seront versées pour les aider à absorber la charge financière de leur réinstallation. Mais pour l’instant, il n’y a pas beaucoup d’espoir pour l’avenir, surtout si la pêche n’est plus une option.
“C’est le travail que nous avons appris. Nous n’avons pas d’autres activités. Nous n’avons même pas réfléchi à une autre activité à poursuivre”, déclare Kagni.
Pour limiter les dégâts créés par l’érosion côtière au Togo, une technique créée par l’ingénieur togolais, Déo Eklu-Nathey, a été mise en œuvre. Le premier test a été réalisé à Gbodjomé et a consisté en la construction d’une série de puits de 1,30 m de diamètre avec des parpaings, qui ont piégé le sable et protégé les portions de côte situées devant sa résidence.
“Quant au système lui-même, c’est un écran solide implanté face à la mer qui retient les sédiments apportés par les vagues tout en laissant partir l’élément liquide”, explique Eklu-Nathey.
Mais avec le temps, il s’est avéré que le mortier entre les parpaings cédait sous l’effet de la marée et affaiblissait la structure. La technique a donc évolué et les parpaings ont été remplacés par des puits en béton coulé.
“Les vagues ont effectivement détruit certaines parties de la structure sur certains sites. 72 % des écrans érigés sont encore debout, mais 28 % ont été détruits par la violence des vagues”, précise Eklu-Natey. “Cela est dû au fait qu’il n’y a pas eu d’études, pas de R+A (Recherche et Action), pas de 3RF (Fonds de réserve pour les réparations rapides) etc. Si les ouvrages avaient été réalisés avec l’intention de résoudre ces problèmes, il n’y aurait pas eu de casse.”
Selon une étude de l’Université de Lomé, l’installation de ces structures a certes créé une nouvelle configuration de la côte. Cependant, contrairement aux épis et aux brise-lames qui perturbent gravement le littoral, ce système implique le piégeage des sédiments en ne créant pas une forte érosion en aval de la dérive.
“Les résultats montrent que ce système a certainement protégé les portions de côte pour lesquelles il a été installé, mais sa durabilité est sujette à discussion. En effet, sur certains tronçons du littoral qui avaient servi de projet pilote, les structures commencent à s’effilocher, d’où la nécessité de s’interroger sur l’efficacité de ce système de protection par buses ou puits de fûts”, conclut Pessièzoum Adjoussi, maître de conférences au Département de géographie de la Faculté des sciences humaines et sociales (FSHS) de l’Université de Lomé, dans la récente publication.
Les risques d’une intervention sans coopération internationale
Sur la côte béninoise, à partir du port de Cotonou, “la plage disparaît et revient, en fonction des saisons”, explique Sohou. “… Il y a des dégâts, car nous subissons les impacts [négatifs] des épis qui ont été construits par le gouvernement togolais à tout au plus deux kilomètres de la frontière béninoise. Le taux d’avancement se situe entre 15 et 20 mètres par an.”
À ce rythme, si rien n’est fait, le Bénin risque de perdre une bande de terre, prévient Sohou.
“Nous rêvons de voir la protection transnationale de WACA au Bénin et au Togo se concrétiser réellement”, dit-il, expliquant que si la bande de terre est perdue, le littoral du Bénin fera 100 km de long, au lieu de 150 km. “En conséquence, la ligne du Togo passera des 50 km actuels à 73 ou 75 km”, a-t-il ajouté.
Sur la côte du Bénin, l’IRHOB a déjà déplacé ses postes d’observation à plusieurs reprises. Après le dernier épi à Sèmè, on constate une “terrible avancée” de la mer sur les terres qui va jusqu’à 30m par an, selon les évaluations de l’IRHOB.
Situés à 15 kilomètres à l’est d’Agbodrafo, Fernand et Jacob, deux jeunes Togolais, posent fièrement sur les tas de pierres protégeant la côte à Aného, où un quai est construit devant la mairie. “Nous avons dû mettre les pierres, sinon notre mairie aurait pu s’effondrer. Même le pont qui se trouve à côté s’effondrait aussi et a été réaménagé”, explique M. Jacob.
Les experts notent que dans le Golfe de Guinée, l’un des principaux défis de la lutte contre l’érosion côtière est la mobilisation de ressources financières pour protéger la côte.
Au Togo, la Banque africaine de développement avait proposé un schéma de protection composé de 28 épis de Katanga à Gbodjomé. Les épis proposés sont relativement courts, permettant une fixation locale tout en minimisant les risques d’érosion dans les zones non encore “protégées”. Selon les données, les longueurs des épis se situent entre 80 et 120 m. Cependant, faute de fonds, ce projet n’a pas encore été mis en œuvre.
Selon M. Sohou, les frontières nationales ne peuvent rien contre l’érosion côtière et les efforts d’un seul pays peuvent simplement l’aggraver ailleurs.
Outre l’exécution des travaux, l’autre aspect important de la protection des côtes est le suivi. D’après ses observations sur la méthode du moteur à sable aux Pays-Bas, “ils mettent le sable, la mer le bouffe pendant un certain temps, puis ils viennent le remettre en place”, explique M. Sohou, illustrant ainsi la nécessité de poursuivre les efforts.
“Il y a aussi un manque de financement pour la recherche scientifique autour de la protection du littoral”, dit Bonou. Les fonds nécessaires pour lutter contre l’érosion et les inondations sont bien plus importants que ceux auxquels chaque pays peut accéder individuellement.
“C’est un problème qui doit être résolu de manière régionale. Un pays seul ne peut pas protéger sa côte sans avoir un impact négatif sur un autre pays, c’est pourquoi les travaux doivent être menés simultanément”, dit-il.
Perspectives de WACA face aux attentes
Les riverains s’impatientent de voir les travaux de WACA se concrétiser pour sauver ce qui leur reste de leurs propriétés, dont les maisons et les plantations continuent d’être avalées par la mer. Djara, de WACA-Bénin, a déclaré que le projet doit attendre des marées favorables pour pouvoir se poursuivre.
“Nous avons terminé la phase de préparation”, a-t-il expliqué. “[Maintenant,] nous entamons la saison des marées basses, qui est favorable à la réalisation des travaux. Le calendrier d’exécution prévoit le début des travaux au début du mois d’octobre.”
Bien qu’il puisse sembler aux résidents que le projet WACA n’a pas encore commencé, Djara explique qu’avant la mise en œuvre, la préparation doit être complète. Depuis janvier, ajoute-t-il, la phase de préparation est en cours.
“En août 2023, nous aurons terminé les travaux”, a-t-il annoncé. Indiquant qu’au Bénin et au Togo, le projet étant un tout, tout évolue dans la même dynamique.
A cela s’ajoute l’impact de Covid-19 et de la guerre russo-ukrainienne. “ Covid-19 a ralenti les études ; Vous savez la mobilité était limitée… Quand il y a une augmentation du coût du baril, il y a une augmentation du coût du lubrifiant ; Le travail maritime est principalement basé sur les machines, qu’il s’agisse de production, de transport ou d’installation”, explique Djara.
La fin du projet WACA est prévue pour décembre 2023, et ses réalisations seront transférées aux ministères en charge de l’environnement de chaque pays, qui seront responsables du suivi. Quant aux différents travaux à réaliser, “au bout de 15 ans, il serait souhaitable de procéder à un entretien”, recommande Djara.
D’ici là, les habitants restent dans l’attente de progrès, vivant à la merci de l’océan.
Ce reportage a été réalisé avec le soutien du Réseau de journalisme pour la Terre d’Internews.