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Mort et beauté de la mort [Chronique Roger Gbégnonvi]

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Elizabeth II d’Angleterre, Mikhaïl Gorbatchev en Russie, Adrien Ahanhanzo-Glèlè et Honorat Aguessy au Bénin : leur franchissement du pas ultime aura rythmé septembre 2022 et retenu l’attention des leurs, les leurs étendus à une partie de l’humanité quant aux deux premiers. Il tombe cependant sous le sens que des femmes et des hommes nombreux s’en sont allés durant ce même mois de septembre, derrière un huis clos convenu. Pourquoi donc le départ des quatre ci-dessus a-t-il suscité l’intérêt loin du cercle des parents et des amis ? Pourquoi, au final, leur parcours est-il apparu heureux aux yeux de ceux qui sont encore dans la course ? Pas pour leur longévité, leurs titres, mais parce que dans le ciel de l’infini du temps qui passe, ils seront passés, étoiles filantes dans un élan d’ensoleillement de la nuit.
Elizabeth II. Fidélité et dignité sur le long chemin cheminé par elle dans sa fonction immense d’incarnation de l’unité du Royaume-Uni. Reine astreinte au protocole de solennité et de faste de la Cour, pouvait-elle faire simple et humble ? Aux yeux de beaucoup, elle s’y sera efforcée en grâce et en beauté. Comment ne pas lui en être reconnaissant ?
Mikhaïl Gorbatchev. Lucidité et courage à la tête de l’URSS. Quand il fut appelé à la diriger, la maison craquait déjà à l’intérieur à coups de demi-vérités données pour vérités étayées par un monolithisme et un dirigisme à tout crin durant sept décennies. Sauver l’édifice exigeait à son avis glasnost (transparence) et perestroïka (restructuration). Il s’y attela. Il ouvrit une lucarne de respiration. Les peuples, qui étouffaient, s’y engouffrèrent, poussèrent les murs. L’empire de la peur s’effondra, laissant de l’espace à l’expression et à l’exercice des libertés. Ce n’était peut-être pas l’objectif clair de l’auteur du couple glasnost-perestroïka. Mais il savait ce qu’on risque en osant une once de vérité au royaume du mensonge entretenu. Nonobstant, il osa. Comment ne pas lui en être reconnaissant ?
Adrien Ahanhanzo-Glèlè. Fermeté totale sur le « Ça ne passera pas », son mantra devenu. Condamné à mort et jeté dix ans en prison sans raison (« Il est innocent. Ce sont ses frères et ses camarades jaloux qui…au nom de la Révolution… », dira Kérékou), il a subi « La barbarie à visage humain », il a compris que si l’on « croit à l’Impossible et au Mal radical », l’on doit s’en tenir « à cette thèse simple qu’il y a aussi de l’Intolérable à quoi il est urgent, sans relâche, de résister » (B-H Levy). Sorti de prison à 50 ans, il résista jusqu’au soir de sa vie à 88 ans. Il résista avec énergie à toute corruption, toute injustice et toute impunité, dans un contexte où ces maux couraient la rue. Comment ne pas lui en être reconnaissant ?
Honorat Aguessy. Fierté et liberté farouches. Drapé dans ces deux caractéristiques de forte exigence, le sociologue se sera engagé au service de la cité bien au-delà de son statut de professeur des universités. Le panafricaniste convaincu avait pour divinité secondaire Kwame N’kruma, et pour icônes les panafricanistes noirs nord-américains. Thomas Sankara trône sur un petit autel de son temple baptisé « Institut de Développement et d’Echange Endogène » (IDEE). Sous ce label, il a créé, au service de sa cité, des œuvres matérielles, pistes d’envol pour l’esprit et pour tout idéal. Comment ne pas lui en être reconnaissant ?
Comment ne pas être reconnaissant aux quatre figures ci-dessus d’avoir incarné le « dies mortalis dies natalis ». Le jour de la mort est le jour de la naissance quand on a compris que c’est ici et maintenant que « Qui veut gagner sa vie la perdra ! » Si l’on réduit sa vie à l’étroit tabouret sur lequel on est assis tout seul, et que l’on fait de ce tabouret avec soi dessus le centre de l’univers, on a perdu sa vie. Pour la gagner, il faut s’étendre soi-même à tout l’univers. Reconnaissance donc aux quatre figures ci-dessus pour avoir marché vers les autres leur vie durant, et pour avoir montré qu’au bout d’une telle vie, la mort est belle.

Roger GBÉGNONVI

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