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Mansa Aboubakar II ou le drame africain du non-écrire [Chronique Roger Gbégnonvi]

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A cause du couci-couça des Etats africains en la matière, l’analphabétisme donne l’impression de ne pas reculer et même de se renforcer parce que l’avancée démographique rapide et visible absorbe et rend invisibles les autres avancées. Pris au collet par les urgences qu’impose une démographie galopante, les Etats abandonnent l’urgence de la lutte contre l’analphabétisme aux ONG qui n’ont que de faibles moyens. Aujourd’hui, deux tiers au moins des Africains n’ont appris à écrire aucune des langues du monde. Gravissime ! Un désastre dont les racines vont chercher loin dans le temps de l’histoire africaine. En voici une preuve.
En septembre 2022, apparaît sur votre écran Android un message vidéo intitulé : « Les manuels d’histoire ont oublié d’inscrire le nom d’un homme qui, 180 ans avant Christophe Colomb, avait foulé le sol d’Amérique : l’empereur Mansa Aboubakar II. » Etonnant. Vous scrutez les belles images et les commentaires des deux explorations attribuées à l’empereur. Un monarque du vaste Mali fit travailler les siens et ses proches au Sénégal, au Niger, en Guinée, pour traverser l’océan à la découverte de l’Amérique sur la simple idée qu’il pourrait y avoir un pays derrière l’infini de l’eau que le regard perçoit ! Une telle curiosité conduisant à la témérité d’explorations risquées, ce n’est pas l’Afrique telle qu’on vous la raconte. Comme les réseaux sociaux sont enclins à fantasmer, vous allez sur Google pour en avoir le cœur net. Vous découvrez que la vidéo sur WhatsApp est le copier-coller condensé d’une longue page de textes et d’images de Google à l’entrée « Qui est l’empereur Mansa Aboubakar II ? » Et Google en rajoute en précisant que des chercheurs sérieux ont relevé des indices de « présence mandingue en Amérique ». Mais, prudent, il manie le conditionnel. Car pas de traces écrites de l’exploit. Car seul l’écrit passe à l’histoire. Car le non-écrit est non-existant, il n’inspire ni les hommes présents ni les hommes à venir.
Car si « Au commencement était le Verbe…, le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous ». La parole non faite écriture n’est pas sans domicile fixe, elle n’a pas de domicile du tout. Avec l’événement qu’elle rapporte, elle est vouée au sort de « autant en emporte le vent », elle disparaît presque aussitôt apparue. Sans l’arrimage de l’écriture, faits et gestes et paroles se dissolvent dans une espèce de Triangle des Bermudes. A propos du flou de l’Afrique, la colère d’Aimé Césaire : « Je parle de sociétés vidées d’elles-mêmes, des cultures piétinées, d’institutions minées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d’extraordinaires possibilités supprimées. » Crimes sur l’Afrique dépourvue de l’ancre de l’écriture. L’écriture ne fait pas qu’ancrer et arrimer, l’écriture est aussi locomotive qui garde en lieu sûr les savoirs et oblige à leur accumulation, par le biais, entre autres, des traductions, pour conduire loin, toujours plus loin, l’homme sachant. Si l’on en juge par le prophète Osée, « Mon peuple périt, faute de connaissance ». Il y a lieu de préciser que les peuples africains stagnent et périssent faute de l’ancre et de la locomotive de l’écriture, faute du système des vases communicants que permet l’écriture, pour enrichir la connaissance et la consolider par des connaissances collectées ailleurs.
Pour les Béninois « c’est au bout de l’ancienne corde qu’on tresse la nouvelle ». Adage vain tant que le Bénin restera surtout analphabète. L’analphabétisme est un état de nature. L’écriture est le primordial état de culture. Il est du devoir des responsables africains de hisser les peuples africains à l’état de culture pour arrêter la saignée « d’extraordinaires possibilités supprimées », déchirer l’oubli qui recouvre quelque Mansa Aboubakar. Portée par l’écriture, l’Afrique ne sera plus clouée au syndrome du Tonneau des Danaïdes. Amarrée à l’écriture, l’Afrique sera reine, elle relèvera tous les défis, jusqu’au-delà des mers.

Roger GBÉGNONVI

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