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Guerre en Ukraine et stagnation de l‘espèce humaine [Chronique Roger Gbégnonvi]

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Le « Tu ne tueras pas » de la Table de Moïse a fait long feu de toute éternité à cause de l’éternelle « légitime défense » soutenue par la loi karmique et cosmique du « Qui tue par l’épée périra par l’épée », ce qui induit une vendetta tout aussi éternelle, puisque quelqu’un se lèvera toujours pour tuer le tueur. S’il s’est trouvé un justicier pour tuer Caïn, alors c’est depuis les origines que l’espèce humaine végète dans la vendetta. Il est une ethnie où l’on se salue la journée longue : « Tu es là ? » Et la réponse est : « Je suis là. » Stagnation. On est là.
Le Patriarche orthodoxe de Moscou l’a compris. Le dimanche 28 mars 2022, en sa cathédrale, il a justifié la guerre en Ukraine au nom de « la lutte métaphysique contre l’ordre international athée », mettant ainsi l’art très physique de la guerre au service de l’art très métaphysique de la théologie. Car une fois qu’on a ethnicisé Dieu, qu’on l’a enfermé dans une vision singulière du monde, il n’y a plus qu’à guerroyer pour imposer sa version de Dieu à tous ainsi qu’à ceux qui ne croient pas en lui. Le seul Dieu qui existe étant le sien, le Patriarche de Moscou fait bien d’en rester aux Croisades. Stagnation. Il n’est pas sorti de sa cathédrale pour écouter ce que chantent les pèlerins au monastère de Taizé : « Ô toi, l’au-delà de tout / Quel esprit peut te saisir / Tous les êtres te vénèrent / Le désir de tous aspire vers toi. » Et il est vrai que s’il s’agit de Dieu, le voilà évanescent, pas consistant, non saisi dans les livres d’une ethnie. Ce Dieu hors-sol est bon pour les monastères où vivent des hommes et des femmes mystiques qui ont pour devise : « Prie et travaille. » Il ne saurait convenir au Patriarche de Moscou résolument partisan du Dieu des Croisades. Stagnation.
D’ailleurs, sur la lancée et admiratif de la guerre en Ukraine, le Patriarche de Moscou a souligné « la mission civilisatrice de la Russie ». A ce cri de ralliement, beaucoup d’Africains ont sursauté, s’étant souvenus que, sous ce label flamboyant de « mission civilisatrice », l’Europe esclavagiste avait fait basculer leurs ancêtres de l’esclavage de déportation dans l’esclave à domicile appelé colonisation. Oui, chez le patriarche de Moscou, « On ne s’en va pas, on reste », on stagne au temps où, dit Elie Wiesel, « c’était humain d’être inhumain ».
« Les hommes meurent et ils ne sont pas heureux » a écrit, tragique, Albert Camus. Halluciné par les choses de la guerre d’Algérie, son père, malheureux, avait murmuré : « Un homme, ça s’empêche. » Non, Papa, un homme, ça se lâche dans les guerres sur les quatre horizons de l’univers, ça fait la guerre pour vouloir la paix et ça continue sans arrêt. Car l’homme, c’est Sisyphe roulant sa pierre. Eternellement. Un seul répit dans cette furie mondiale, c’est Jésus devant Pilate au soldat qui venait de le gifler : « Pourquoi me frappes-tu ? » Instant christique resté unique. Jésus a été crucifié et, depuis, il y en a surtout pour le « Dieu sanglant » du mystique Lanza del Vasto : « Et pour que clair jaillisse notre son / Ta main nous frappe, qui foudroie. / Ni pain ni paix, mais tes trois clous, / Ô Christ sanglant qui danses sur la croix / comme danse le feu qui prendra tout, / Sauf ta parole en qui je crois. »
Il a dit « sauf ta parole ». Pour atténuer la sienne à l’ascétisme élitiste et pour s’éloigner de celle du Patriarche va-t-en-guerre, il faut écouter celle de Jésus dialoguant avec une femme de Samarie, tribu ennemie de la sienne, Jésus faisant du cœur de l’homme le lieu d’adoration de « toi, l’au-delà de tout », Jésus s’opposant á la Loi de Moïse pour sauver la femme adultère. Voilà Jésus le Christ, refus de toute méchanceté, élan vers toute tendresse.
S’ils savaient cela, ceux qui se disent ses disciples et font même métier de le prêcher s’abstiendraient d’en rajouter avec autorité à la misère morale et matérielle des hommes. Ils rejoindraient plutôt telle communauté mystique de del Vasto pour prier et méditer, ou telle équipe de réflexion et d’action pour toujours plus de tendresse sur la terre des hommes.  

Roger GBÉGNONVI

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