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« Inventer une Afrique autre » [Chronique Roger Gbégnonvi]

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C’est le titre exact de l’ouvrage de l’enseignant chercheur béninois, Yaovi Soédé (2017, 270 p.) La vingtaine d’ouvrages qu’il a signés à ce jour soupirent presque tous après la renaissance de l’Afrique prise entre « la pauvreté et la sorcellerie », l’une appelant l’autre. Souffrance et désespérance quand Soédé envisage le développement de l’Afrique à la lucarne de la sorcellerie partout à l’œuvre. Souffrance et désespérance auxquelles fait écho en creux un autre Béninois : « Et si la sorcellerie développait l’Afrique ? » (2021, 358 p.) Car Florent E. Hessou aura fait cette prière désespérée : que le mal sorcier génère le bien du progrès pour que l’Afrique ne sombre pas comme elle semble en prendre le chemin. Or si l’on en croit Axelle Kabou, native du Cameroun, dont la sorcellerie rivalise d’ardeur macabre avec celle du Bénin, l’Afrique creuse elle-même sa tombe. Quel ressenti a poussé la fille de Douala à s’écrier : « Et si l’Afrique refusait le développement ? » (1992, 208 p.) Souffrance et désespérance : un peuple d’hommes et de femmes que leur civilisation sorcière autorise à faire mordre la poussière à ceux qui se lèvent et marchent ! Est-il un avenir pour ce peuple ?

Si les deux auteurs béninois écoutaient de temps en temps en 2022 telles radios communautaires émettant de Cotonou, ils seraient édifiés par le discours des désenvouteurs en verve aux heures de publicité payante. Bagou en diable. Savoirs reçus d’un esprit puissant ou d’un aïeul chasseur ayant vécu cent ans. La sorcellerie et son train de malheurs, ils vont en délivrer tout l’univers, contre espèces sonnantes et trébuchantes. Le secret ancestral des potions efficaces, ils le détiennent. Et voici, impromptu, un auditeur au bout du fil. Il loue le thaumaturge pour l’avoir désenvouté avec un total succès ; il souhaite d’ailleurs avoir avec lui un nouveau rendez-vous. En direct sur les antennes ! Une cuisine-marketing mitonnée avant l’entrée en scène ? Toujours est-il qu’à suivre ces émissions, on prend le pouls d’une société ahanant sous l’empire et l’emprise de la sorcellerie. Et l’on n’a pas envie de rire.

On se pose toutefois deux questions. 1-Pourquoi le christianisme et l’islam, volontiers pratiqués par cette société, n’ont pas résorbé ou, tout au moins, atténué la spirale de la sorcellerie ? 2-Pourquoi reste-t-elle si agissante que chrétiens et musulmans recourent parfois aux ci-dessus désenvouteurs ? Une réponse possible : la religion n’empêche pas la guerre et ne peut donc empêcher la guerre sorcière que le Béninois Gaston Zossou appelle « La guerre des choses dans l’ombre » (2003, 167 p). Dans l’ombre. Car, honteuse, la méchanceté sorcière se cache, elle se dit ‘‘occulte’’. Avançant à pas de loup dans la nuit sans étoiles, elle ne fait pas des vagues de macchabées et d’handicapés comme la guerre du Biafra, elle abat ses victimes une à une. L’agent sorcier est inconnu… ou soupçonné. Il ne répondra donc jamais de ses crimes devant un tribunal. Lâche méchanceté, la sorcellerie échappe á la loi. Odieuse méchanceté, la sorcellerie est crime parfait contre l’humanité.

Or la méchanceté est le propre de l’homme, le propre de son côté nuit. Et l’on déplorera que, ici et ailleurs, des experts en méchanceté aient opacifié cette nuit, en aient arraché les étoiles. L’homme peut-il avancer sans leur lumière ? Pour « Inventer une Afrique autre », selon le vœu de Yaovi Soédé, l’homme renouera en action avec le double mantra de la Grèce antique : « kalos kai agathos », le Beau et le Bien. Esthétique et Ethique. Créés au jour le jour et semés en action par tous les Soédé, Kabou, Hessou et Zossou. Par-delà idéologie et religion. Une Afrique diurne, débarrassée du mal cultivé de la sorcellerie, est une Afrique du Beau et du Bien cultivés et mis à disposition par des Africains de lumière dont les cœurs battent toujours déjà au rythme nouveau et généreux d’une Afrique autre. Avancer donc, confiant que le Beau appelle le Bien et que le Bien appelle le Beau.

Roger GBÉGNONVI  

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