« La poutinophilie d’une partie des Africains », a titré Le Monde du 9 mars 2022. Il s’agit de certains Africains très lettrés qui ont choisi la tragédie de la guerre contre l’Ukraine pour déclarer leur flamme à une certaine Russie et, par ricochet, à la Chine, deux pays qu’ils disent vierges d’esclavagisme et de colonialisme contre l’Afrique. Au nom de quoi, pensent ces Africains très lettrés, leur Russie aurait le droit d’endeuiller l’Ukraine pour garantir sa sécurité puisque les Etats-Unis rugissent partout dans le monde quand ils décident qu’une quelconque puissance, proche ou éloignée, pourrait leur faire de l’ombre : ils attaquent, ils détruisent. Invoquer les Etats-Unis pour bénir la Russie guerroyant contre l’Ukraine, c’est mettre dans le même sac deux puissances manifestement opposées et concurrentes. Les Africains très lettrés ne se seront pas aperçus du mélimélo. Ni du quitus donné par eux à « la raison du plus fort est toujours la meilleure », quitus dont pourrait se prévaloir le puissant Nigeria pour enjamber les accords internationaux et aller arracher par la force au Bénin les régions yorubaphones à la frontière des deux pays, au motif que le yoruba est d’essence Abeokuta et non Abomey et que, si le Congrès de Berlin avait rationnellement distribué l’Afrique, ces régions yorubaphones auraient été attribuées á l’Angleterre et non à la France.
Sans faire le moindre procès d’intention aux Africains très lettrés alignés derrière la Russie terrorisant l’Ukraine, il existe en toile de fond à leur discours l’idée que, ‘‘distribuée’’ à la Russie et à la Chine son alliée, l’Afrique serait aujourd’hui en très bonne compagnie pour sa liberté et pour sa marche en avant. Voilà un raisonnement qui fait la part belle à un anachronisme affligeant. La virginité de la Russie et de la Chine en matière de colonialisme contre l’Afrique tient à leur absence autour de la table à Berlin en 1884-1885. Elles n’étaient pas encore solidement implantées à côté des nations colonisatrices et ne pouvaient donc pas prétendre à leur part du gâteau Afrique. A présent, elles sont là, plus puissantes que la France et que l’Angleterre, comparables aux Etats-Unis, et font les yeux doux à l’Afrique pour qu’elle délaisse à leur bénéfice des ‘‘partenaires’’ qui, il est vrai, l’asphyxient.
Illusion. Miroir aux alouettes. Odeur de chantage. L’Afrique doit y résister. L’histoire lui enseigne qu’il y va de son salut et de son développement. L’histoire, c’est quand le mur de Berlin est tombé en 1989 et que l’Union Soviétique s’est effondrée. Pourquoi les pays de l’Union, dont l’Ukraine, ne sont-ils pas restés soudés à la Russie ? Etouffaient-ils derrière le Rideau de Fer de la Russie ? L’histoire, c’est quand la Chine se démocratisera et connaîtra le sort de l’ancienne Yougoslavie : des peuples se détacheront de la Chine d’airain pour se sentir libres, et libres de se développer à leur guise. L’histoire, c’est quand feu Hassan II souhaitait l’adhésion du Maroc à l’Union Européenne, à laquelle aspire à adhérer le pays d’Atatürk. Les peuples vont là où se trouvent liberté et possibilité pour eux de s’épanouir.
Or ni liberté ni progrès pour l’Afrique derrière la Russie ou la Chine pressées d’avoir aujourd’hui leur part d’Afrique. L’Afrique doit résister au mirage russo-chinois, éviter la rechute prévisible de l’épouse qui, trop souvent battue, divorce et tombe avec espoir dans les bras du nouvel amoureux attiré par ses charmes restés intacts. Sa nouvelle lune de miel durera environ trois lunes, et ce sera le retour du bâton. Car, depuis qu’Adam et Eve ont dû quitter le Paradis, la solidarité est en berne. Puisse donc l’Afrique se prendre en main, savoir que son idéal de liberté et de progrès se réalise avec les Africains émules de Sankara, Mandela, Jerry Rawlings, etc. Pendant plus de 60 ans d’errance dite indépendance, ses charmes, restés intacts, n’ont cessé d’attirer Europe, Russie et Chine. Elle doit donc entendre maintenant Aimé Césaire. Elle doit « produire de son intimité close la succulence des fruits ».