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Et si nos exilés écrivaient à Talon [Chronique Roger Gbégnonvi]

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Monsieur le Président de la République, nous savons maintenant que l’exil ressemble à la prison, sans qu’on sache lequel l’emporte en force d’oppression et de désespérance. Sur le long terme en tout cas, les deux imposent le besoin de l’Absolu dans nos vies pour en combler le vide, et nous renvoient à tel ou tel grand texte du parcours sinueux des hommes. « Au bord des fleuves de Babylone / nous étions assis et nous pleurions, / nous souvenant de Sion ; / aux peupliers d’alentour / nous avions pendu nos harpes. » Car l’on ne saurait ni chanter ni danser en exil quand l’exil se prolonge indéfiniment et que devient évanescente la perspective de retour à Sion, la perspective de retour chez soi, à la maison, en terre natale.
Or donc, Monsieur le Président, aujourd’hui en 2022, c’est de nous, exilés béninois depuis des années, c’est de nous que parle l’auteur du psaume 137. A la différence près que l’exil évoqué résulte d’une déportation consécutive á une guerre perdue par le peuple juif, tandis que le nôtre résulte de notre volonté affirmée de nous soustraire à quelque contrôle de gestion, contrôle jugé par nous illégal, intempestif, inamical, etc. Au début, tout allait très bien. Notre dispositif en matériel et en personnel à l’intérieur et à l’extérieur du Bénin ne vous laissait pas plus de six mois à la Marina. Votre déguerpissement ou votre « capture » (ceux qui lâchèrent le mot au pays ne faisaient pas une vaine intimidation) ouvriraient la voie à notre retour triomphal pour la poursuite normale de l’épanouissement de nos affaires.
Mais alors que nous savons comment fonctionne l’Etat, expert en sécurité, nous n’avons pas fait cas de l’espionnage et du contre-espionnage. Cette négligence a permis à vos services d’éventer nos secrets, d’éventrer nos plans partout où nous les avions tapis. Effarés, et de peur qu’on ne les découvre, certains de nos relais au Bénin nous ont rejoints précipitamment et discrètement dans notre exil. A côté donc de nous, exilés volontaires, il faut aligner désormais les exilés collatéraux, ni déclarés ni enregistrés comme exilés. Le mal unique de ces deux catégories d’exilés s’appelle errance couplée d’impasse dans un abîme de spleen où plus rien ne vous intéresse. Plus d’appétit. Plus de libido. Il n’existe que l’appel du pays. Lequel pays s’éloigne, fuit d’horizon en horizon. Vous-même, Monsieur le Président, exilé volontaire pendant trois ans, vous l’avez connue, cette fosse sans lumière où le pays natal se perd, vous l’avez entendu, cet appel du pays natal installé sur un horizon mouvant et irrattrapable. Mais vous, tel un pèlerin de l’irréel, vous l’avez rattrapé en cheminant le chemin sidéral entre « l’Exil et le Royaume ». Et d’avoir plongé dans les affres de déréliction où nous voici plongés vous insuffle sans doute l’énergie que l’on vous voit déployer pour transformer et embellir notre pays. Salut l’artiste ! Viendra-t-il le temps pour nous de féliciter notre adversaire d’avoir enfilé un costume qui lui sied à merveille ?
Pour que vienne ce temps, Monsieur le Président, nous avons besoin de votre aide. Et nous en venons là à l’objet unique de notre lettre. Comment nous aider ? Nous ne le savons pas. Nous ne savons pas résoudre la quadrature du cercle, qui consisterait, en l’occurrence, à mettre en musique notre dignité aux yeux des nôtres et notre culpabilité au regard des lois de la République. Pourriez-vous demander au Médiateur de la République de jouer dans notre souffrance un rôle inédit et grandiose ? Il consisterait, en l’occurrence, à nous éviter la plate reddition de Job avant que Yahvé ne lui fasse grâce à nouveau, il nous rapprocherait de l’espérance inouïe et sublime de l’enfant prodigue de l’évangéliste Luc : « Mon fils que voilà était mort et il est revenu à la vie ; il était perdu et il est retrouvé » (15/24).
Monsieur le président de la République, veuillez nous aider. Entre l’improbable et le désirable, nous cherchons le chemin vers vous.

Roger GBÉGNONVI

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